CORRESPONDANCE
1957ù Lettre ouverte aux responsables de la Triennale d’art industriel à Milan Documents relatifs à la fondation de l’Internationale situationniste. 1948-1957
Édition établie par Gérard Berréby. Éditions Allia, Paris, septembre 1985MESSIEURS,
Vous avez beaucoup tardé à répondre à la lettre par laquelle, l’année dernière, le Mouvement International pour un Bauhaus Imaginiste vous demandait un emplacement pour construire un pavillon expérimental dans le cadre de la XIe Triennale. Sachant que la réalisation dépendait d’une entente immédiate entre nous, vous avez voulu, en gagnant du temps, faire échouer ce projet sans prendre les risques d’un refus. Et maintenant, il nous vient aux oreilles que vous répandez systématiquement le bruit que notre lettre vous aurait été écrite en termes injurieux.
Nous ne serions pas surpris outre mesure d’apprendre que vous avez pu considérer comme injurieuse une lettre qui n’était que froide. Personne, ni en Italie ni en France, ne vous prête assez de discernement et d’éducation pour être assuré que ces nuances vous sont perceptibles. Mais nous sommes fâchés que vous osiez tirer argument, contre nous, de ces injures imaginaires, pour votre mauvaise propagande.
Vos procédés, Messieurs, commencent à nous déplaire. Nous avons pris sur nous de recevoir correctement votre agent, le nommé Pica, qui s’est introduit dans notre Congrès d’Alba, en septembre dernier, bien que ses attaches apparussent jusqu’à l’évidence. Nous avons finalement convenu de le laisser partir avec les documents qu’il avait pu glaner. Notre patience est maintenant épuisée.
Toi, Broggini, tu n’es rien d’autre qu’un cocu. Cette question t’obsède, tu ne peux penser au-delà. Tu es donc irresponsable, nous t’en donnons acte. Mais démissionne.
Lombardo, tu as eu dans ta jeunesse quelques bonnes idées et, il faut bien le reconnaître, un véritable intérêt pour le problème des arts plastiques dans leurs rapports avec l’industrie. Depuis, ton évolution n’est pas belle, et toi-même, à y bien penser, tu ne dois pas en être fier. Tu n’es plus qu’un chef de publicité, pas très habile. Même tes patrons sont volés.
Mollino, puisque tu es si impatient d’entendre des injures sur ton compte, au point de solliciter les textes pour les découvrir, tu vas être déçu : tu es une nullité si parfaite — et Lombardo lui-même ne se prive pas de le dire — que tu décourages l’injure, même des spécialistes.
Nous vous prévenons, Messieurs, qu’il vous faut désespérer de nous manœuvrer davantage. Rejoignez vos couvenst respectifs, l’âge en vient.
Paris, le 1er janvier 1957
Au nom du Mouvement International pour un Bauhaus Imaginiste :
M. BERNSTEIN, CONSTANT, M. DAHOU, G.-E. DEBORD, J. FILLON,
G. GALLIZIO, A. JORN, R. RUMNEY, P. SIMONDO, E. VERRONE, G. J WOLMANRédaction de Potlatch : 32 rue de la Montagne-Geneviève, Paris-Ve.
Bureau du Bauhaus Imaginiste en Hollande : 25 Henri-Polaklaan, Amsterdam C.
Laboratorio Sperimentale : 2 via XX Settembre, Alba.
Organising Committee of the Provisional Congress for the psychogeographical fragmentation of the urban district of London : c/o I.C.A., 17/18 Dover street Picadilly, London W1.ù Ettore Sottsass Jr. à Asger Jorn Potlatch n° 28, 22 mai 1957 CARO JORN, ho ricevuto questa mattina la lettera inviata da Parigi alla XI Triennale. Anche se non porta la mia firma, ti avverto che non voglio avere più niente a che fare con il Movimento per un Bauhaus immaginista perchè un movimento formato da genii come te e i tuoi amici francesi è fuori della mia misura.
Milano 5 gennaio 1957
ù Guy Debord à Asger Jorn Guy Debord, Correspondance, volume I, juin 1957-août 1960
Librairie Arthème Fayard, Paris, 13 octobre 1999Paris, le 22 août [19]57
CHER ASGER,
Merci pour les Fin de Copenhague1. Ils sont dans deux librairies.
Je dois te demander des renseignements sur les points suivants :
1°) As-tu des clichés photographiques susceptibles d’illustrer le prochain Eristica ? Ceux que j’ai fait faire chez Heimburger étaient destinés à illustrer des tracts futurs, et presque aucun n’est bon pour la revue.
As-tu des clichés du congrès d’Alba ?
En règle générale il faut envoyer tous les clichés chez Gallizio, et m’envoyer ici des épreuves de ces clichés pour que je puisse monter la maquette de la revue.
2°) As-tu reçu les clichés de ta photo et de la mienne, donnés aussi à Heimburger ? Je sais qu’ils sont faits car j’ai reçu une épreuve du cliché de ma photo, mais pas ce cliché lui-même. Si tu ne l’as pas, veux-tu écrire à Heimburger de me l’envoyer à Paris ?
3°) Peux-tu m’envoyer la traduction du texte ci-joint ? Il semble être un manifeste d’un groupe d’avant-garde de Suisses allemands, dont un membre est venu rue de la Montagne-Geneviève2 pour prendre contact avec nous, naturellement sans pouvoir nous joindre3. Je ne peux pas savoir s’il faut leur répondre avant d’avoir compris leur texte.
Bien amicalement,
GUY
ù Guy Debord à Mohamed Dahou Guy Debord, Correspondance, volume I, juin 1957-août 1960
Librairie Arthème Fayard, Paris, 13 octobre 1999[Paris], 23 août [19]57
J’ai été très content d’avoir de tes nouvelles par [H]afid [Khatib]2, qui m’a montré hier ta lettre.
Alex [Trocchi] a envoyé, il y a six semaines, une carte postale pour dire qu’il comptait passer encore quelque temps en Amérique mais que, même quand il n’écrit pas, nous devons être sûrs qu’il reste notre ami.
On a vu plusieurs fois Charly (Haetcher). Jamais plus Iris ou les autres Américains n’ont essayé de revenir rue Campagne-Première3.
La bande est en extension (mais on a dû il y a six mois se fâcher avec Gil [Wolman]4 qui recommençait à se conduire comme en [19]54 et [19]55). Nous avons publié quelques petits livres5. Je ne t’ai rien envoyé parce que je n’étais pas sûr de te joindre, [H]afid me dit maintenant que plusieurs lettres et cartes se sont égarées. Si tu veux maintenant ces publications, on te les enverra ?
Je viens de rentrer d’Italie où presque tout le monde était réuni. Tu es très célèbre là-bas à cause d’Asger [Jorn] et d’un Anglais qui nous avait un peu connu chez Moineau6 : Ralph [Rumney].
J’espère avoir bientôt une réponse de toi, et surtout te voir revenir prochainement.
Très amicalement à toi. Embrasse Marcelle de notre part.
GUY
ù Guy Debord à Asger Jorn Guy Debord, Correspondance, volume I, juin 1957-août 1960
Librairie Arthème Fayard, Paris, 13 octobre 19991er septembre [19]57
CHER ASGER,
Merci pour la lettre et les épreuves des clichés. Je pense comme toi qu’il nous faut présenter la « conférence de Cosio » comme le point de départ de notre activité nettement organisée et, à partir de maintenant, avancer vite (il faut créer tout de suite une nouvelle légende à notre propos). Quand Ralph [Rumney] et toi serez rentrés à Paris, il nous faudra envisager deux ou trois petites opérations simultanées — tracts, etc. — pour faire connaître en France notre dernière position. Je vais écrire une note sur la réunion de Cosio — pour Eristica, et aussi pour le prochain Potlatch, qui permettra de faire passer officiellement l’héritage « lettriste » au nouveau mouvement.
Très bien pour Cardazzo1. J’espère que tu vas facilement t’arranger sans lui.
Les Suisses sont donc des idiots. Je m’en doutais : pas une minute à perdre avec eux.
Est-ce que Walter Korun2 sera à Paris ?
Après l’expérience de Fin de Copenhague je réunis un très grand nombre d’éléments pour cette nouvelle construction du récit, dont je t’ai déjà parlé3. Je te demanderai des lignes colorées d’une assez grande complexité qui devront former la « structure portante », comme on dit en architecture. Si Permild4 est prêt pour un choc beaucoup plus fort, tout va bien.
Je rassemble aussi quelques citations pour un article sur les perspectives de l’automation, article que nous devrions, je crois, écrire ensemble.
Je n’ai pas de nouvelles de Simondo, hors une lettre qu’il m’avait adressée le 15 août, et qui ne contenait aucune nouvelle précise. J’ai répondu en demandant de presser l’envoi des manuscrits pour notre prochaine revue. Je n’ai encore rien reçu.
Le travail avance avec « Charme et mécanique5 ». Ce sera fait pour ton arrivée.
Pinot [Gallizio] aussi m’a écrit que le scandale de Venise était grandiose6.
Ralph doit être en ce moment à Londres et j’attends son passage ici dans trois ou quatre jours, au moment où il repart pour l’Italie. Il a beaucoup de très bonnes idées, qu’il m’a communiquées dans sa dernière lettre.
J’ai des nouvelles de Dahou, qui va revenir. Ce peut être utile pour certains aspects de la propagande.
À bientôt. Très amicalement
GUY
ù Guy Debord à Asger Jorn Guy Debord, Correspondance, volume I, juin 1957-août 1960
Librairie Arthème Fayard, Paris, 13 octobre 1999Le 9 septembre [1957]
CHER ASGER,
Je crois que tu as tout à fait raison à propos de l’exposition1 Cobra : nous devons essayer d’utiliser la réussite de Cobra2 en nous présentant comme le dépassement obligé de cette époque ; ou bien combattre fortement les néo-Cobra3.
L’histoire de Jørgen Nash4 est très belle.
Tu peux m’envoyer les épreuves pour Selandia en indiquant la dimension maximum que peuvent atteindre les textes, et je ferai les corrections et les coupures nécessaires.
Je n’ai pas encore vu Ralph [Rumney]. Je pense qu’il est toujours à Londres.
Mais je suis très surpris de n’avoir reçu aucun des textes de Cosio, alors que tous les textes m’avaient été promis pour le 1er septembre, dernier délai — (dans ces conditions je devais achever la maquette de la revue5 le 15 septembre…).
Je n’ai pas reçu davantage une lettre d’explication sur ce retard.
Quand reviens-tu à Paris ? J’espère te voir bientôt.
Amicalement
GUY
ù Guy Debord à Asger Jorn Guy Debord, Correspondance, volume I, juin 1957-août 1960
Librairie Arthème Fayard, Paris, 13 octobre 199919 septembre [19]57
CHER ASGER,
Je reçois aujourd’hui une lettre de Simondo qui me dit que les traductions sont achevées et que je recevrai bientôt tous les textes qui ne sont pas encore tapés.
Étant donné ce retard considérable, je pense que l’impression d’Eristica ne pourra pas se faire selon le plan prévu : je ne sais si Ralph [Rumney] est encore à Londres, ou à Venise, mais il ne sera certainement plus en Italie au mois d’octobre.
Ce détail mis à part, les choses ont l’air d’aller très bien. Je crois qu’il y a beaucoup à faire d’ici la fin de l’année.
J’ai profité du temps libre pour « Charme et mécanique » qui est maintenant achevé, en deux exemplaires.
1°) Veux-tu que je t’envoie le premier ? Mais je pense que c’est à Paris que tu veux l’imprimer ?
2°) Dois-je envoyer immédiatement le second exemplaire à Simondo ? Je lui avais promis pour le 15 octobre seulement, et je crains que ce travail supplémentaire ne retarde encore plus notre planification, du côté italien.
Amicalement,
GUY
ù Guy Debord à Mohamed Dahou Guy Debord, Correspondance, volume I, juin 1957-août 1960
Librairie Arthème Fayard, Paris, 13 octobre 1999[Paris], 19 septembre [19]57
CHER MIDHOU,
Merci de ta lettre. Alex [Trocchi] a écrit d’Hollywood qu’il espère revenir à Paris s’il obtient l’argent pour le bateau, mais d’abord il lui faut traverser les États-Unis en voiture et j’essaie de lui obtenir une copie de son permis de conduire français. Il te fait dire qu’en Amérique, sans travail, on trouve toujours à boire et à manger, mais très difficilement l’argent pour rentrer.
Pour les publications, en tenant compte de ce que tu me dis — j’y avais déjà pensé — je te ferai lire ça à ton retour.
J’espère que tu as fait beaucoup de peintures, et que tu nous prépares une exposition sensationnelle.
Amicalement,
GUY
ù Guy Debord à Alexander Trocchi Guy Debord, Correspondance, volume I, juin 1957-août 1960
Librairie Arthème Fayard, Paris, 13 octobre 1999[Paris], 21 septembre [19]57
CHER ALEX,
J’ai reçu ta lettre ce matin, et j’ai pu obtenir tout de suite le permis de conduire. J’espère qu’il accélérera ton retour.
Midhou [Dahou] est en Algérie, où il a dû partir lors de la mort de son père. Il vient de m’écrire qu’il croit seulement revenir vers la fin de l’année. Il t’envoie ses amitiés.
Tout en France va plus mal chaque jour, et les perspectives sont inquiétantes. Mais les affaires de l’Internationale se développent favorablement : elle est devenue « situationniste » depuis une réunion cet été en Italie. Je t’envoie aussi une brochure que je t’avais adressée à New York.
Tout de même, on s’amuse. Je compte toujours sur toi pour 2 ou 3 petites révolutions en préparation.
À bientôt,
GUY
ù Guy Debord à Asger Jorn Guy Debord, Correspondance, volume I, juin 1957-août 1960
Librairie Arthème Fayard, Paris, 13 octobre 199924 septembre [19]57
CHER ASGER,
Je crois aussi que nous devons établir à Paris un nouveau plan pour notre activité éditoriale, et le réaliser au plus vite avant cette rencontre Gropius-Read-Ulm1 qui peut être sensationnelle. Toutes les circonstances sont favorables. Le principal danger pour nous, en ce moment, c’est le retard.
Je t’attends le 10 octobre. Fais-moi signe dès ton arrivée.
Amicalement,
GUY
ù Guy Debord à Asger Jorn Guy Debord, Correspondance, volume I, juin 1957-août 1960
Librairie Arthème Fayard, Paris, 13 octobre 1999[12 octobre 1957]
CHER ASGER,
Il me semble que tu as emporté la feuille d’épreuves que je devais corriger ? Il faudrait, quoi qu’il en soit, m’en donner une quand tu passeras chez moi, lundi ou mardi.
Cordialement,
GUY
1. Fragment de texte découpé et collé au dos de l’enveloppe. [Note de l’édition Fayard.]
ù Guy Debord à Mohamed Dahou Guy Debord, Correspondance, volume I, juin 1957-août 1960
Librairie Arthème Fayard, Paris, 13 octobre 1999[Paris], 18 novembre [19]57
CHER MIDHOU,
J’ai été très content de recevoir ta dernière lettre et j’approuve tes projets pour l’avenir proche.
Ici, on peut dire que vont bien les affaires disons théoriques-artistiques de la bande ; et bien aussi les circonstances personnelles (santé, amourettes, tout le monde est bien logé et à peu près bien nourri). Tout le reste est lamentable, comme la lecture de France-Soir peut te l’apprendre.
Nous avons fondé il y a trois mois, avec les survivants du Bauhaus [imaginiste], une Internationale « situationniste », complètement alignée sur les positions les plus nouvelles que nous avions soutenues ces dernières années (de sorte qu’il y a eu pas mal de scandales et de ruptures du côté de l’Italie). Asger [Jorn] a fait, je crois, de grands progrès, avec toujours quelques moments de recul partiel de temps à autre. Mais son ralliement sur l’ensemble a fait un effet assez semblable à la rupture d’Alex [Trocchi] avec Merlin en [19]55. Seulement Asger a procédé plus lentement, mais sur une plus vaste échelle (on peut dire européenne) ; et il nous a apporté un certain nombre de moyens nouveaux (économiques) qui semblent en plein développement. Aussi on a beaucoup voyagé cette année. Il nous reste 4 Italiens au moins mais 2 d’entre eux sont nettement suspects : ils sont en ce moment sur une position minoritaire, rejetée par tout le monde et je ne sais les conclusions qu’ils devront en tirer à bref délai. Nous avons 2 Belges très bien, mais pas de l’équipe Mariën1. Un seul Anglais sûr, jusqu’à présent, les autres étant encore à un stade de sympathie très confuse. Encore le nôtre n’est-il plus à Londres. Cet hiver il opère à Venise dont il fait l’étude psychogéographique complète ; en outre il vit avec la fille de Peggy Guggenheim : Pegeen, que tu as dû connaître. Le retour d’Alex en ce moment serait bon à tous points de vue, mais je n’ai pas de nouvelles de lui depuis que je lui ai envoyé, à Hollywood, le permis de conduire qu’il voulait pour traverser les U.S.A. en voiture et s’embarquer à New York, comme je te l’ai déjà écrit. Hafid [Khatib] est toujours assez inactif mais il a finalement mis la main sur un jeune marsupial2 tout à fait charmant. Il a fait aussi un bon travail de traduction.
Eugène, l’Américain qui lisait Joyce, est passé au quartier et te cherchait. Comme il allait en Tunisie, et espérait continuer jusqu’en Algérie, Hafid lui a donné ton adresse actuelle. Pour qu’on ne risque pas de t’oublier dans un autre public, je t’ai dédié mon dernier article important, il y a huit jours.
Tu nous manques beaucoup. Bien affectueusement à Marcelle et à toi,
GUY
ù Guy Debord à Constant Guy Debord, Correspondance, volume I, juin 1957-août 1960
Librairie Arthème Fayard, Paris, 13 octobre 1999[Paris], 27 décembre [19]57
JOYEUX NOËL !
Aurais-tu quelque chose à publier dans la revue que nous préparons ?
À bientôt,
GUY
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