DEBORDIANA

CORRESPONDANCE
1963

 

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Guy Debord à Asger Jorn

[Guy Debord, Correspondance, volume II, septembre 1960 - décembre 1964
Librairie Arthème Fayard, Paris, 14 février 2001]

Mercredi 2 janvier [1963]

CHER ASGER,

J’ai lu ton interview à Information1. Je crois que cela vient au bon moment.

Tu peux voir dans cette coupure de presse la concentration des forces planétistes-isouïennes pour l’attaque directe contre nous. C’est de plus en plus fort !

Veux-tu passer chez moi demain vers midi ?

Bonne année !

GUY

1. « I am not painting hoardings » (Je ne peins pas pour amasser), interview dans le journal danois Information du 22 décembre 1962. [Note de l’édition Fayard.]

 

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Guy Debord à Michèle Bernstein

[Guy Debord, Correspondance, volume II, septembre 1960 - décembre 1964
Librairie Arthème Fayard, Paris, 14 février 2001]

[Fin février 1963]

I.S. 7, pages 34 et 39.
I.S. 8, pages 24, 25 et 60.

MON CHER CŒUR,

Il faut envoyer d’urgence chez Jan [Strijbosch]1 les clichés sus-désignés.

Je reviens aussitôt que possible (mercredi ?).

Je t’aime (le bonjour à Amnistie2),

GUY

P.-S. : Pour Henri [Lefebvre]3, se méfier de toute tentative de raccommodement direct. Après la querelle publique, s’il « s’explique » ce doit être publiquement (un article dans Les Temps modernes par exemple…).

1. Jan Strijbosch, situationniste de la section belge. [Note de l’édition Fayard.]

2. Objet fétiche allégorique. [Note de l’édition Fayard.]

3. Henri Lefebvre, pris en flagrant délit de plagiat du texte situationniste Sur la Commune, publié « sous sa signature dans le dernier numéro d’Arguments » et dénoncé le 21 février 1963 dans le tract Aux poubelles de l’histoire ! [Note de l’édition Fayard.]

 

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Guy Debord à Alexander Trocchi

[Guy Debord, Correspondance, volume II, septembre 1960 - décembre 1964
Librairie Arthème Fayard, Paris, 14 février 2001]

Février [19]63

Note pour l’Angleterre

1. Il est absolument nécessaire que l’accumulation théorique publiée depuis quatre ans, principalement en français, soit accessible dans le plus court délai à tous les gens qui pourront être associés à notre action en Angleterre ou aux États-Unis. À défaut, ces gens n’admettront jamais la capacité et l’autorité du centre que nous représentons. Nous subirions donc à la fois une immense perte de temps, des troubles et contestations évitables, et une baisse générale de la qualité de ces associés.

Il faut donc arranger au plus vite :

a) la parution d’une revue anglaise, dirigée par Alex, sur le modèle minimum de Situationistisk Revolution. Il faut y prévoir la traduction des articles déjà traduits en danois dans S.R. n° 1, plus les deux premières notes éditoriales d’I[nternationale] S[ituationniste] 7 et les deux premières d’I.S. 8.

b) l’édition d’un livre théorique, chez un éditeur anglais ou américain. Ceci pourra être fait sur la base de la traduction d’une réunion d’articles plus complète et surtout plus travaillée (remaniée) que le projet a.

2. Alex peut être juge, dans la période actuelle, de l’utilité de souligner ou au contraire d’atténuer le rôle de l’organisation existante de l’I.S. (le C[onseil] C[entral] fixé à la conférence d’Anvers), pour les discussions avec les associés possibles dans la « Région Atlantique ». Ce qui est sûr, c’est que tôt ou tard, ces associés découvriront toute l’étendue de l’I.S. (de son projet et de ses exigences). Ils voudront alors, sans doute un peu trop vite, se proclamer situationnistes et parler au nom de l’I.S.

Il faut bien mesurer tout de suite les conséquences du fait que l’accès dans l’I.S. (l’admission à égalité comme situationniste) ne pourra se faire que par un vote des 8 membres actuels du C.C., selon les modalités exposées dans le document de la conférence d’Anvers sur l’organisation de l’I.S.

On ne saurait trop réfléchir à cette base, qui est tout à fait indiscutable si on veut vraiment une action commune avec l’actuelle équipe situationniste.

3. Tous nos associés présents et à venir devront accepter la « liste noire » qui a été établie en même temps que la première équipe situationniste constituait sa base (qui est une base née dans l’action pratique aussi bien qu’une recherche théorique). Ceci est immédiatement une condition sine qua non.

Doivent être rejetés sans aucune discussion de n’importe quelle forme de relations avec nous :

a) tous les exclus de l’I.S. — et particulièrement les nashistes, en y comprenant leurs collaborateurs qui n’ont pas été dans l’I.S.

b) les lettristes survivants.

c) les collaborateurs de la revue française Arguments, contre laquelle nous avons « fait un exemple ». Ce boycott s’entend seulement pour les collaborateurs français de cette revue. Nous n’avons rien contre les étrangers dont des textes ont été traduits dans cette revue (par exemple l’Anglais George Buchanan1 qui paraît assez sympathique).

4. Nous devons garder une attitude d’attention, et de sympathie, envers toutes les recherches et expériences de nouvelle organisation révolutionnaire des travailleurs qui essaient de s’esquisser en ce moment sur l’idée des Conseils de travailleurs. Cependant cette attitude d’intérêt et de compréhension ne peut aller jusqu’à une forme d’action commune engageant l’I.S. (Il existe à Londres le groupe de « Solidarity for the Worker’s Power », quelques shop stewards et intellectuels qui essaient de relancer un mouvement ouvrier radical, et qui sont très bien placés dans la lutte anti-atomique. Il faut éviter tout noyautage de leur part sans marquer un désintérêt pour leurs préoccupations ; une attitude de rupture hautaine nous rejetant apparemment dans le camp des « artistes spécialisés », et une telle apparence nous affaiblirait aussi devant nos ennemis — qui de toute façon ne désarmeront jamais contre nous.)

GUY

— Correspondance entre GUY DEBORD & ALEXANDER TROCCHI

1. « Dans le fatras du n° 22, seul le petit texte de George Buchanan vaut quelque chose. » (GUY DEBORD à J.-L. Jollivet, 8 décembre 1961) ; « Pour la seconde révolution » sera suivi dans le n° 25-26 de « Vers la seconde révolution ». [Note de l’édition Fayard.]

 

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Guy Debord à Robert Estivals1
« Pour Estivals » (mention ajoutée à la main), en réponse au livre de ce dernier : L’Avant-garde culturelle parisienne depuis 1945. Ce texte porte le cachet « Internationale situationniste, B.P. 75-06 Paris ».

Guy Debord, Correspondance, volume II, septembre 1960 - décembre 1964
Librairie Arthème Fayard, Paris, 14 février 2001

15 mars [19]63

L’AVANT-GARDE en 1963 et après.

1 — Le terme « avant-garde » implique l’affirmation d’une nouveauté. Le moment proprement avant-gardiste d’une telle affirmation est à la frontière entre, d’une part, le moment du pur pronostic arbitraire sur ce que pourra être l’avenir (prophétisme), et, d’autre part, le moment de la reconnaissance de cette nouveauté (reconnaissance acquise « en majorité », non universellement : le fait qu’une nouveauté rencontre encore quelques résistances passéistes ne saurait suffire à la maintenir dans l’avant-garde). L’avant-garde est ainsi le début de réalisation d’une nouveauté, mais elle n’en est que le début. L’avant-garde n’a pas son champ dans l’avenir, mais dans le présent : elle décrit et commence un présent possible, que la suite historique confirmera dans l’ensemble par la réalisation plus étendue (en faisant apparaître un certain pourcentage d’erreurs). Lactivité d’avant-garde, en pratique, lutte contre le présent dans la mesure où elle caractérise le présent comme poids du passé, et présent inauthentique (comme retard).

2 — En partant de l’application du concept d’« avant-garde » à des modalités très diverses de la réalité socio-culturelle, on est conduit à distinguer deux degrés : une interprétation restreinte et une interprétation généralisée de ce concept. Au sens restreint, on peut parler d’activité d’avant-garde à propos de tout ce qui, dans n’importe quel secteur, va de l’avant (médecine, industrie d’avant-garde). Au sens fort, généralisé, une avant-garde de notre temps est ce qui se présente comme projet de dépassement de la totalité sociale ; comme critique et construction ouverte, qui constitue une alternative avec l’ensemble des réalités et problèmes, inséparables de la société existante. Il s’agit pour l’avant-garde de décrire la cohérence de l’existant au nom (et par l’éclairage, le jeu de miroirs) d’une nouvelle cohérence ; cohérent signifiant ici tout le contraire de « systématique ». Depuis la formation du concept même d’avant-garde culturelle, vers le milieu du XIXe siècle et parallèlement à l’existence d’avant-gardes politiques, ses manifestations historiques sont passées de l’avant-garde d’une seule discipline artistique à des formations d’avant-garde tendant à recouvrir la quasi-totalité du champ culturel (surréalisme, lettrisme). Nous sommes aujourd’hui au point où l’avant-garde culturelle ne peut se définir qu’en rejoignant (et donc en supprimant comme telle) l’avant-garde politique réelle.

3 — La première réalisation d’une avant-garde, maintenant, c’est l’avant-garde elle-même. C’est aussi la plus difficile de ses réalisations ; et le fait qu’elle soit désormais un préalable explique l’absence des avant-gardes authentiques sur de longues périodes. Ce qui s’appelle généralement « réalisations » est d’abord concession aux banalités du vieux monde culturel. À cet égard est notable la tendance de tout avant-gardisme factice d’aujourd’hui à mettre l’accent sur des « œuvres » très peu nouvelles (et un très petit nombre de nuances distinctes dans cette œuvre que la mystification idéologique tente de valoriser comme richesse et originalité) ; alors qu’au contraire un mouvement comme l’I.S. a tendance à dissimuler (à rabaisser délibérément) non seulement les projets partiels, mais surtout les réalisations effectuées — qualifiées d’« anti-situationnistes » — en dépit du fait que ces nombreux sous-produits de son activité centrale d’autoformation de l’avant-garde contiennent plus de nouveautés effectives que toute autre production artistico-philosophique de ces dernières années. C’est en ne croyant pas aux œuvres actuellement permises, qu’une avant-garde fait, aussi, « les meilleures » des œuvres actuellement permises.

4 — Au sens déjà traditionnel de ce terme, l’avant-garde est entrée dans une crise finale ; elle va vers sa disparition. Les symptômes de cette crise sont : la difficulté de plus en plus éclatante d’une production culturelle d’avant-garde dans les secteurs où elle est officiellement permise (et donc le recours toujours plus grossier au mensonge idéaliste pour fonder une telle production : le délire de l’argument d’autorité dans le lettrisme ayant été le stade suprême de ce processus). Corollairement : l’inflation organisée de fausses nouveautés des avant-gardes passées, hâtivement reemballées et saluées partout comme l’originalité même de notre temps.

Dans ce cadre, les activités — séparées — de l’avant-garde réelle, au sens restreint, sont toujours récupérées par le monde existant, et finalement utilisées pour maintenir l’essentiel d’un équilibre ancien.

Quant à l’avant-garde généralisée, là où elle existe réellement, elle va vers un dépassement de l’avant-garde même. Non certes au sens imbécile de la formule « l’avant-garde, c’est dépassé », qui ne signifie rien d’autre qu’un retour au conformisme, prétendu plus neuf parce qu’il revient de plus loin. Dépasser l’avant-garde (toute avant-garde) veut dire : réaliser une praxis, une construction de la société, à travers laquelle, à tout moment, le présent domine le passé (voir le projet d’une société sans classes selon Marx, et la créativité permanente impliquée par sa réalisation). La création de telles conditions de création devra marquer la fin des conditions historiques qui ont commandé le mouvement de l’avant-garde, c’est-à-dire la résistance contre la domination (la prédominance, l’autorité) du passé sur chaque moment du présent (la possibilité même d’une insurrection impatiente contre la prédominance du passé n’étant donnée que par la réalité du changement depuis les progrès scientifiques des quatre derniers siècles, et surtout depuis la révolution industrielle).

5 — La sociologie, la police ou le bon goût d’une époque peuvent juger une avant-garde, qui en même temps juge les raisons et les fins de la police, de la sociologie et du bon goût. S’il s’agit réellement d’une avant-garde, elle porte justement en elle la victoire de ses critères de jugement aussi, contre l’époque (c’est-à-dire contre les valeurs officielles, car l’avant-garde représente bien plus exactement cette époque du point de vue de l’histoire qui viendra). Ainsi la sociologie de l’avant-garde est une entreprise absurde, contradictoire dans son objet même. On peut faire aisément une sociologie des fausses avant-gardes, une sociologie de l’absence des avant-gardes, tous ces facteurs étant compréhensibles et explicables en termes sociologiques datés. Par contre, si la sociologie de l’avant-garde en reconnaît une qui soit vraie, elle doit reconnaître aussi qu’elle ne peut l’expliquer qu’en entrant dans son langage (langage ne veut pas dire ici mystère transcendant et indiscutable : non, mais un ensemble d’hypothèses susceptible d’être examiné, adopté ou rejeté, qui est en fait un pari pour — et contre — un certain état du monde et de son devenir). L’erreur la moins fructueuse serait à coup sûr une demi-reconnaissance de l’avant-garde, à cause d’intuitions ou d’intentions elles-mêmes avant-gardistes de l’observateur, mélangée avec une demi-objectivité se réclamant de l’observation scientifique désintéressée (qui naturellement n’est pas possible en cette matière où le phénomène est unique, non répétable, et où qui l’observe a déjà pris parti, dans quelque mesure). Une telle confusion, quels que soient ses motifs, ne peut mener à rien.

6 — Une théorie de l’avant-garde ne peut être faite qu’à partir de l’avant-garde de la théorie (et non, évidemment, en maniant des vieilles idées plus sommaires que l’on voudrait encore appliquer à la compréhension d’une pensée qui, précisément, les a rejetées). Selon l’hypothèse de travail des situationnistes (qu’ils ont déjà largement vérifiée), toute tentative, consciente et délibérée, pour avancer dans la compréhension, et indissolublement dans l’activité, de l’avant-garde aujourd’hui, doit se définir par rapport à l’I.S. (y compris contre elle, au-delà). À défaut, une discussion ne pourrait rester que dans l’anecdotique, et même les anecdotes alors ne seraient pas vraiment comprises, à ce niveau.

G.-EDEBORD

[Robert Estivals dans le Who’s Who]

 

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Guy Debord à Attila Kotányi
Télégramme de Paris

[Guy Debord, Correspondance, volume II, septembre 1960 - décembre 1964
Librairie Arthème Fayard, Paris, 14 février 2001]

Jeudi 21 mars [1963]

BIEN REÇU TA LETTRE — STOP — D’ACCORD — STOP — ABSOLUMENT INDISPENSABLE GARDER TOUS LES TEXTES ET SORTIR REVUE SANS UWE (Lausen) À LA DIRECTION — STOP — LETTRE SUIT DEMAIN — STOP — AMITIÉS,

GUY

 

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Guy Debord à Attila Kotányi & Raoul Vaneigem

[Guy Debord, Correspondance, volume II, septembre 1960 - décembre 1964
Librairie Arthème Fayard, Paris, 14 février 2001]

Vendredi 22 mars [19]63

CHER ATTILA, CHER RAOUL,

Je ne peux répondre maintenant à tous les points évoqués dans vos dernières lettres, surtout celle d’Attila qui est très longue, et d’une grande richesse thématique. Je l’approuve (et particulièrement votre conclusion sur la réponse nécessaire et choisie pour Tom Gutt : parfaitement juste). Je désapprouve seulement, dans la lettre de Raoul (mais elle est plus ancienne) une tendance à la « conciliation » à propos de [Der] D[eutsche] G[edanke], et surtout l’utopie d’un « partage des relations » entre Uwe [Lausen] et Paris ou Bruxelles. Je suis totalement sûr (cf. toute l’expérience I[nternationale] S[ituationniste] et S[ituationistisk] R[evolution]) qu’une revue, même si elle est bourrée d’adresses de revues sœurs à l’étranger ou de bureaux d’U[rbanisme] U[nitaire] rapporte deux lettres à ces adresses pendant qu’elle amène deux cents lettres à sa propre adresse. On ne peut pas ruser avec ces lois.

En fait, je veux parler seulement d’Uwe et D.G. Je crois que nous sommes parfaitement d’accord sur Uwe (bien dans l’I.S. de janvier [19]62, statique et inchangé depuis, donc extrêmement retardé). Je souscris à tous les jugements d’Attila sur sa tentative de « dépassement paresseux » de l’I.S., en plus ou moins sous-beatnik, et sur ses actes manqués (l’oubli des manuscrits partout. Ceci me rappelle Alain Girard). Notre but est donc clair : arrêter les frais pour toute opération exigeant d’Uwe une lourde responsabilité et une capacité de lutte autonome au premier rang pour représenter l’I.S. Ceci aussi bien dans notre intérêt que dans celui d’Uwe. En plus, si possible, nous essaierons de garder Uwe — s’il devient un peu plus patient et attentif au moment où nous cessons de le prendre comme un héros. C’est-à-dire s’il profite de l’avenir proche pour faire des progrès à partir d’une relative obscurité. Il serait fou de donner le « label » de l’I.S. — surtout après Spur —, notre force théorique (juste châtrée pour qu’Uwe n’ait aucun inconvénient personnel ni fatigue) à quelqu’un qui est « plutôt » contre la théorie, qui est même contre les revues, qui veut seulement avoir une revue à lui — mais sans y travailler un peu, ni avant de venir à Anvers, comme promis, ni sur place depuis !

Une telle revue pourrait juste servir à vendre de la peinture, et Kunzelmann aurait alors raison (pour la première fois de sa vie. Ce serait encore trop).

Plus généralement, puisqu’il y a eu déjà des ennuis juridiques réels à Munich, n’allons pas à la moitié de l’exil et de la « clandestinité ». Prenons-en aussi les avantages. C’est-à-dire : ne faisons pas, à l’étranger, une revue dont le contenu voudrait s’atténuer pour être acceptable en D[eutsche] B[undes]R[epublik]1 Faisons à l’étranger — à l’abri — une revue qui peut avoir des ennuis en D.B.R. et en D[eutsche] D[emokratische] R[epublik]2, ou même en Pologne, Hongrie ou Suisse. Bref : partout où nous pouvons l’envoyer. Avec 1 000 ou 1 200 exemplaires nous n’avons pas les besoins d’une grande revue diffusée commercialement qui risque l’interdiction. Nous ferons nous-mêmes discrètement toute la distribution (en 6 ou 8 mois). Il ne faut faire aucune coupure du fait d’un radicalisme politique qui enverrait les rédacteurs en prison. Il faut seulement mettre les rédacteurs et responsables à l’abri (comme la rédaction d’Études3 qui, en ce sens au moins, est logique avec elle-même). Si nous faisions maintenant des coupures dans les traductions situationnistes déjà éditées, ce serait une arme terrible aux mains de tous nos ennemis. En fait, tous ceux à qui nous avons reproché, depuis des années, leur manque de netteté et leurs concessions auraient rétrospectivement raison dans leur querelle contre nous en mettant ce fait en lumière. Je ne saurai envisager d’accepter cela, quoi qu’il en coûte (et, bien entendu, je suis prêt à prendre la responsabilité personnelle de tous les textes supposés « dangereux »).

Naturellement, je suis sûr qu’il est possible, et qu’il est bien meilleur d’écrire dans chaque nouvelle « zone » I.S. de nouveaux textes (tenant compte de toutes les conditions du pays, de ses résonances linguistiques, etc.). C’est ce qu’il faudra faire évidemment avec les anglo-américains. Mais voilà : pour ce faire, il faut des gens sûrs et capables, qui travaillent eux-mêmes. L’incapacité d’Uwe, au contraire, obligeait à se limiter, au moins pour débuter, à très peu près aux traductions. Alors Uwe, qui n’est rien de mieux jusqu’ici pourrait être — devrait être — au minimum le militant courageux et prêt à tout. Voilà qu’il n’est même pas cela (et nous ne voulons pas en faire un martyr, de toute façon) ; alors qu’au premier procès Spur il déplorait de n’avoir pas tous ces ennuis pour des motifs théoriquement plus sérieux. Voici que le côté dangereux de ces traductions est souligné soudain MAINTENANT, après qu’on leur ait d’abord reproché d’être fatigantes puis d’être sans doute inutiles ! Cela fait beaucoup de contradictions, sur les mêmes textes, en trois semaines. Je pense donc que son année d’inaction a eu aussi le sens d’un embourgeoisement « artistique » : la peinture avec un certain dégoût ; plus la théorie avec davantage de dégoût. La seule suite risquerait d’être : l’argent (avec dégoût aussi : toujours trop peu).

Nous devons nous garder de cela. Et, par la même occasion, nous en garderons Uwe s’il est encore temps. Mais nous avons :

1 — Un objectif principal. « Sauver » d’abord l’I.S. qui ne résisterait pas au ridicule d’une incapacité à sortir D.G. au niveau suffisant (comme contenu, non comme poids). Ensuite, avoir une plate-forme sommaire mais nette de discussion avec Centre-Europe, et quelque peu l’Est.

2 — Un objectif secondaire. « Sauver » Uwe qui est à coup sûr condamné à la connerie noire (au néo-spurisme) si nous ne sanctionnons pas son attitude. Par contre le faire « rentrer dans le rang », comme « simple membre du C[onseil] C[entral] » (ce n’est déjà pas mal…) qui ne dirige pas une de nos revues, peut lui donner à réfléchir. Être un test sur ses capacités de réflexion encore ouvertes, ou le degré de fierté idiote qu’il a pu atteindre dans la solitude. (Il n’a vu, en un an, que Martin quelques jours. Il trouve que Martin n’est pas tout à fait assez intelligent pour lui. Comme Martin est indubitablement assez intelligent pour moi — sur cent lettres échangées —, ma conclusion est qu’Uwe n’est pas assez intelligent pour moi.)

En tout cas, notre objectif secondaire doit être subordonné à l’objectif principal.

Voici donc, à mon sens, la seule position tenable :

DER DEUTSCHE GEDANKE
sous-titre : Revue de l’Internationale situationniste pour la Région Centre-Europe.
Directeur : R. Vaneigem.
Adresse : Boîte postale n°…, Brussel, Belgium
4
.

En page 3, la déclaration d’anti-copyright et pas de comité de rédaction (ou la formule «  D.G. est édité par le Conseil central de l’I.S. » — sans reproduire les noms des membres).

Dans la revue, Uwe signe personnellement son article (qui ne risque certes pas de le mener au bagne). Certaines choses sont signées « la rédaction » — ou par Attila sous un pseudonyme germanico-hongrois (Hans Beimler5 ? E. Bathory6 ?). Le programme d’U.U. pourrait passer sans signature avec la mention : publié dans la revue Internationale Situationniste n° 6. Je peux signer moi-même l’une ou l’autre des notes éditoriales d’I.S. — si vous voulez éviter l’allure par trop anonyme. Raoul signe personnellement « B[analités] de B[ase] » (dont j’avais dit que la traduction doit aller au moins à la fin du point 6).

Enfin, ne pensez-vous pas que le « Formulaire pour un nouvel urbanisme » de Gilles Ivain, paru dans Spur 5 mériterait d’être reproduit (il y a là de l’« affectif », quelques propositions presque concrètes) ? Il faudrait situer sa date présituationniste (cf. I.S. n° 1) et seulement corriger dans la version Spur 5 quelques erreurs de traduction (par exemple l’épigraphe où certains des noms de rue ou d’hôtel doivent rester en français parce que le sens ludique des mots a été perdu dans la traduction).

Je pense qu’il vaut mieux se réduire (si vous étiez forcés) à une revue de 24 pages — l’argent gagné sur le devis (établi pour 40 pages) vous permettrait peut-être de faire faire deux ou trois beaux clichés ? Et ceci gagne encore de la place sur les textes. Pensez que même la dimension 32 pages implique en fait 4 ou 5 pages « gagnées » (ou « perdues » si l’on veut) avec les blancs, les pages de titre, etc.

Quand vous aurez fini votre travail — SANS PLUS COMPTER EN RIEN SUR UWE — si vous n’avez pas l’Allemand-réviseur à Bruxelles, envoyez-moi vite le tout ici. J’ai un tel Allemand. Mais on ne peut faire plus avec lui que l’ultime relecture. Il faut faire très vite pour une raison de plus : il risque de quitter Paris d’ici quinze jours et ne peut faire le travail pour nous que pendant un week-end : donc celui du 29 mars est parfait, si j’ai tout reçu avant.

Raoul doit prendre tout de suite, pour marquer le numéro dans D.G. 1, une boîte postale à son nom à Bruxelles (+ le titre revue Der Deutsche Gedanke). Ceci coûte à Paris 20 ou 30 francs par an. Il suffira qu’il en donne la clé à Attila qui doit être le véritable responsable de toutes nos relations avec Centre-Europe (correspondance en allemand ; et choix des prochains rédacteurs !). Mais il me paraît évident que, pour des raisons de sécurité, Attila ne doit pas prendre lui-même la direction officielle de D.G. Ce qui peut arriver de pire étant une protestation diplomatique de la D.B.R. à Bruxelles, Raoul a tous les droits dans son pays. (À propos de boîte postale : vous avez dû voir, par l’expérience faite par Martin, qu’une lettre envoyée à la B.P. d’Uwe à Munich est renvoyée avec la mention « inconnu ». Alors, mesurez où allait D.G. avec un si beau spécimen de la génération battue.)

Donc, pour l’organisation de l’I.S., cela signifie que Bruxelles — capitale européenne ! — et plus modestement Attila et Raoul sont à considérer désormais comme étant dans notre Région Centre-Europe. Attila se chargera de cette Région avec un délégué à l’édition (Raoul) à Bruxelles, un militant avancé à Munich (Uwe s’il ne se suicide pas ou s’il ne boude pas), un autre en D.D.R. (Weimar).

Nos activités titanesques dans Ouest-Europe se subdiviseront d’elles-mêmes entre un sous-secteur Nord (néerlandais, annexant Anvers avec la revue de Jan [Strijbosch] et Rudi [Renson]7) et un Sud-Ouest Europe (Paris et les Latins, comme disent les nashistes).

René [Viénet], qui a l’occasion d’aller pour deux ans à Pékin, balance entre ce groupe et le périlleux honneur d’être le pionnier de notre Région Afrique-Asie.

Je crois que cet arrangement est d’un fonctionnement correct ; nous garantit à peu près bien la clarté et l’impunité ; est très bon et présentable pour l’image de l’I.S. à l’extérieur. Enfin, son plus grand avantage est de ne pas humilier Uwe (ni entraîner le moindre reproche public envers lui). Tout simplement : la pression policière en D.B.R., qu’il a subie plus que personne, oblige la revue allemande de l’I.S. à l’exil. Vivant à Munich, il n’a donc plus lieu de la diriger (un mot de René : « Pourquoi Uwe ne veut-il pas séjourner à Anvers ou Paris, comme il prévoyait l’an dernier ? ») Enfin, cette revue D.G. n’est pas munichoise, ni même D.B.R. Elle doit être Centre-Europe d’une façon bien plus immédiatement vraie que la revue I.S. ne peut être franco-italo-espagnole ! Nous devons éviter sa provincialisation.

Comme, en fin de compte, tout le monde doit travailler à tout — et, selon Alex [Trocchi], se retrouver au plus vite assemblés dans une grande maison —, ces nuances de spécialisations et charges honorifiques n’ont qu’un sens minime entre nous. La simple question était : « Uwe est-il parmi nous ? » L’avenir y répondra. Mais sans que les débris nous retombent sur la tête, il vaut mieux. Considérez enfin, chers amis, si le flot de ma dialectique ne vous a pas déjà convaincus, le plus éclatant mérite de ma solution : c’est qu’au stade suprême où nous en sommes arrivés avec Uwe, les Allemagnes et cette malheureuse revue, il n’y a pas d’autre solution qui résiste à cinq minutes d’examen.

Amitiés8,

GUY

1. Deutsche Bundesrepublik (ex-Allemagne de l’Ouest). [Note de l’édition Fayard.]

2. Deutsche Demokratische Republik (ex-Allemagne de l’Est). [Note de l’édition Fayard.]

3. Publication de l’Institut Imre Nagy de sciences politiques à Bruxelles. [Note de l’édition Fayard.]

4. Écrit en marge : « Première page (le tout en allemand). » [Note de l’édition Fayard.]

5. Hans Beimler, volontaire allemand du bataillon Thaelmann, commissaire de la 1re unité des Brigades internationales en Espagne. Échappé de Dachau, il est tué à Madrid en 1936. [Note de l’édition Fayard.]

6. Erzsébet Bathory, la « comtesse sanglante » hongroise que l’on a comparée à Gilles de Rais. [Note de l’édition Fayard.]

7. Rudi Renson, situationniste de la section belge. [Note de l’édition Fayard.]

8. Ajouté en fin de lettre : « Prix 2 D. Marks + monnaie Est, Autriche, Francs suisses. » [Note de l’édition Fayard.]

 

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Guy Debord à Raoul Hausmann

[Guy Debord, Correspondance, volume II, septembre 1960 - décembre 1964
Librairie Arthème Fayard, Paris, 14 février 2001]

Paris, le 31 mars 1963

MONSIEUR,

En réponse à votre lettre du 24 mars, je vous envoie aujourd’hui une collection de la revue Internationale Situationniste. Je crois que nous y avons expliqué notre position à l’égard du dadaïsme et de son imitation réactionnaire d’aujourd’hui, principalement dans le numéro 2, pages 6-7-8 ; dans le numéro 6, pages 12 et 13 ; dans le numéro 7, pages 20 à 23 ; dans le numéro 8, page 11 — ce relevé n’étant pas limitatif.

Pour résumer, nous caractérisons le dadaïsme comme le moment révolutionnaire qui domine la culture de l’époque (et qui, en dépit de ses motivations négatives, a apporté une masse d’innovations dont s’est abondamment servi ce qui s’appelle actuellement l’art moderne). Au contraire, tout néo-dadaïsme se trouve être maintenant une reprise — plus ou moins dissimulée en paroles — de l’allure formelle du dadaïsme assorti d’une idéologie, d’une « justification » qui sont toujours réactionnaires (en jouant ouvertement sur ce fonds réactionnaire, comme Mathieu ; ou en l’enveloppant de quelque brume, comme plusieurs des « nouveaux réalistes »).

Le cas de Spur est plus ambigu. Quelque temps liés au mouvement situationniste, mais jamais réellement intégrés, les spuristes n’ont à vrai dire jamais suffisamment dépassé l’état d’ignorance qui est solidement organisé dans l’Allemagne actuelle à propos de tous les mouvements culturels ou politiques d’avant-garde antérieurs à 1933. Une part de l’aspect dadaïste de Spur était sûrement une façon — innocente, ignorante — de renouer avec une certaine violence (insuffisante, à notre avis), plutôt qu’une exploitation délibérée du néo-dadaïsme. Dans leur activité présente, et à venir, je ne sais jusqu’à quel point cette petite violence même peut se survivre.

Situationist Times, c’est seulement un titre pris au mouvement situationniste, pour faire les pires sottises publicitaires. Parmi les responsables, hormis un qui a été avec nous quelque temps, il n’y a que des gens que nous n’avons même jamais voulu rencontrer. Noël Arnaud est évidemment du nombre.

À propos des références de votre lettre concernant le lettrisme (sur les points précis que vous citez, j’admets votre jugement1), peut-être est-il bon de vous signaler que la revue Ur2, à ma connaissance, a paru en 1951 et non en 1947 ?

« Situationnisme », nous n’en voulons pas, nous rejetons explicitement le mot, nous nous refusons à la doctrine. Nous avons voulu définir — commencer à expérimenter, autant que possible — une activité pratique situationniste. Au sens : créant des situations ; des moments si l’on veut dire autrement. Des environnements et des actes, en interaction. Vous êtes bien sévère pour le concept de situation, puisque vous trouvez toute situation pénible et insignifiante. On peut répondre : les situations dans la vie se présentent « spontanément », automatiquement comme cela, le plus souvent. Pas toujours : certaines peuvent nous plaire. Si on les construisait librement, elles seraient sans doute moins insignifiantes. C’est à essayer. Nous sommes en tout cas en complète rupture avec toute l’avant-garde officielle et reconnue qui s’est fait connaître depuis la guerre.

Veuillez accepter mes salutations distinguées. Et aussi, quel que puisse être votre jugement sur l’I.S., veuillez croire à toute mon estime pour votre Courrier Dada3, et la grande époque dont il traite.

GUY DEBORD

— Correspondance entre GUY DEBORD & RAOUL HAUSMANN

1. « Si Isidore Isou prétend être le premier à avoir fait des poèmes lettristes, qu’il prenne connaissance des récits de Ball dans son journal de 1916 et des déclarations de Schwitters dans G de 1923. Quant à M. Lemaître, il a publié dans Ur de 1947 un dessin, qu’il a simplement calqué sur un dessin d’un Indien nord-américain, publié en 1912. […] Toute la peinture des lettristes n’est qu’une imitation de mes Poèmes-Affiches et Tableaux-Écritures de 1918 à 1923. » [Note de l’édition Fayard.]

2. Ur, cahiers pour un dictat culturel, revue lettriste fondée par Maurice Lemaître en 1950, reparue en 1963. [Note de l’édition Fayard.]

3. Livre de Raoul Hausmann paru en 1958. [Note de l’édition Fayard.]

 

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Guy Debord à Ivan Chtcheglov

[Guy Debord, Correspondance, volume II, septembre 1960 - décembre 1964
Librairie Arthème Fayard, Paris, 14 février 2001]

[Cannes, début avril 1963]

CHER IVAN,

Ta lettre en deux épisodes m’est arrivée, non sans retard quant au deuxième épisode, retard dû d’abord à une grève des postiers. Il y a fréquemment des moments de grèves et troubles de toutes sortes qui sont contemporains de nos contacts. Je n’ai jamais oublié que, la première fois que je t’ai rencontré, surgissait avec toi à cet instant la nouvelle de la révolte de Berlin-Est1, dont l’importance historique s’est beaucoup confirmée dans la suite.

Je souhaite de tout cœur que, dans l’agitation qui se développait à La Chesnais2, les bureaucrates soient mis en déroute, sans bien sûr que cela doive vous mener à les remplacer, ou concurrencer, dans leur malheureuse spécialité.

Un retard de plus a été apporté par un voyage (peut-être serait-il plus exact de parler d’une beuverie mêlée de voyages), qui vers ce moment m’a mené sur la Côte, où je me débats dans une histoire assez confuse de petite fille — qui peut-être n’est qu’à moitié intéressante — et d’alcoolisme très avancé. Au sens tout à fait pathologique du terme : je veux dire quand boire, à plusieurs moments de la journée, mais principalement le marin, apparaît immédiatement comme le seul remède après lequel on va beaucoup moins mal, on se retrouve capable de tout, et d’abord de boire beaucoup plus. Ceci n’est d’ailleurs rien de neuf. Mais de poussé encore un peu plus loin, peut-être. Tout cela dans un décor redoutable, d’un modernisme hideux de prétention et misérable à la fois, mon frère m’ayant trouvé un logement incroyable où il faudrait renverser un bar, oui, laid et encombrant, pour découvrir une cuisinière électrique dont je n’ai que faire ; où il faudrait renverser une bibliothèque — vide — pour en faire émerger un lit, si on consentait à le faire bouger aussi dérisoirement par rapport au mouvement de la rotation terrestre, et à nos propres mouvements.

C’est dire combien je suis sur le terrain (encore une quinzaine de jours : Debord, L’Atlantide — eh oui —, avenue d’Antibes, Cannes — après à Paris) pour ressentir tout ce que tu dis des architectes, et toutes nos thèses d’autrefois là-dessus, que les dernières années ont confirmées d’une manière terrible. Le « Formulaire » est effectivement un document très condensé, quasiment héraclitéen, il n’a pas vieilli depuis dix ans bientôt. Il commence seulement à trouver ses lecteurs, dans la mesure où l’I.S. les a formés. On commence à comprendre ce qui n’était alors compréhensible que pour deux ou trois de nous, peut-être parce que le développement des choses permet à présent de suivre certaines perspectives plus loin que nous ne les comprenions nous-mêmes à ce moment. Nous avions fait aussi une édition en allemand de ce texte, je ne sais si tu l’as lue ? Je serai, comme tous mes amis, évidemment très intéressé par un commentaire que tu pourrais faire de ce texte ; et plus généralement par tout ce qui viendrait de l’activité éventuelle que tu évoques.

Il est vrai que l’écriture métagraphique a été presque abandonnée dans l’I.S., mais je crois comme toi qu’elle contient beaucoup de ressources non explorées pour de très diverses formes de communication (pas seulement psychanalytiques). Je crois à un renouveau des recherches là-dessus. Probablement plus clairement situées à l’intérieur de tels groupes précis où la communication existe — et donc de lieux construits qui protègent ou à tout le moins permettent cela. La métagraphie avait, me semble-t-il, cette valeur de messages entre nous, à un moment. Ainsi elle s’était déjà totalement opposée à la métagraphie lettriste, dont les développements picturaux, renversés signifîcativement en « hypergraphie », ont mené depuis à une sorte de sous-secteur de l’art abstrait.

Dans notre aventure vers les bases d’une nouvelle communication, et leur expansion vers 1954 nous ne tenions pas assez compte des forces désintégrantes de tout l’entourage, forces que pourtant nous étions payés pour connaître autour de Saint-Germain-des-Prés. Il est encore plus difficile que nous ne l’admettions non seulement d’avancer à partir de certaines bases, mais encore de pouvoir résister sur elles. C’est pourtant cela qui est désirable.

À propos de la loi sur les associations sans but lucratif que tu nous signales, le projet de Trocchi est naturellement tout entier fondé sur un équivalent anglais. Pour l’application, plus tôt nous la verrons, mieux ce sera.

Tu dis que l’époque est de plus en plus morte. Mais : oui et non. Il nous semble, à beaucoup de signes, que des forces vivantes commencent à se chercher, à surgir derrière les décors officiels (gauche ou droite, cour ou jardin) du lamentable théâtre de l’époque. C’est encore à jouer.

I remember April3, etc. Tant de travaux en cours, comme nous disions. C’était vrai, c’est encore vrai.

J’espère que l’on te verra bientôt ?

GUY

— Correspondance entre GUY DEBORD & IVAN CHTCHEGLOV

1. Le 16 juin 1953. [Note de l’édition Fayard.]

2. Hôpital psychiatrique où était interné Chtcheglov : « La condition qui est actuellement faite à Ivan Chtcheglov peut être ressentie comme une des formes toujours plus différenciées que revêt, avec la modernisation de la société, ce contrôle de la vie qui a mené, en d’autres temps, à la Bastille pour athéisme, par exemple, ou à l’exil politique. » (I.S. n° 9, p. 38.) [Note de l’édition Fayard.]

3. I’ll Remember April, un des standards du jazz américain. [Note de l’édition Fayard.]

 

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Guy Debord à Eugène Bogaert

[Guy Debord, Correspondance, volume II, septembre 1960 - décembre 1964
Librairie Arthème Fayard, Paris, 14 février 2001]

Paris, le 20 avril 1963

CHER MONSIEUR,

Je suis parfaitement d’accord quant à la somme de 1 580 F que nous restions vous devoir après le règlement comptant du numéro 8, et les divers jeux d’écriture qui l’ont accompagné : je vous avais moi-même fait remarquer à l’époque cette petite différence.

Il s’y ajoute donc naturellement votre récente facture relative à notre dernier tract1, dont l’allure somptueuse est largement confirmée par la facture elle-même. Je vais vous régler le tout ensemble prochainement. Disons mieux : assez prochainement.

J.V. Martin, au Danemark, me signale qu’il n’a pas encore reçu les couvertures — vierges — que vous avez dû lui expédier vers l’époque où nous avons fait un autre envoi de couvertures — imprimées — à Anvers, ce dernier envoi étant arrivé à bon port depuis deux mois. Pouvez-vous vérifier le départ pour le Danemark, et me communiquer les références, comme ce fut fait, et efficace, pour le stock d’Anvers ?

Bien à vous,

GUY DEBORD

l. Aux poubelles de l’histoire! [Note de l’édition Fayard.]

 

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Guy Debord à Alexander Trocchi
Télégramme

[Guy Debord, Correspondance, volume II, septembre 1960 - décembre 1964
Librairie Arthème Fayard, Paris, 14 février 2001]

[Paris], 20 avril [1963]

AVONS VU JEAN-CHARLES — STOP — TROUVONS STUPÉFIANT QUE VOUS AYEZ PU CROIRE EXCLUSION ARBITRAIRE ATTILA [KOTÁNYI]STOP — CE TRACT1 EST UN FAUX DES STALINIENS BELGES — STOP — CETTE ANECDOTE DEVRAIT JUSTEMENT MONTRER NOS CONDITIONS GÉNÉRALES DE TRAVAIL ET CONSÉQUEMMENT NÉCESSITÉ DES EXCLUSIONS RÉELLES COMME INDISPENSABLE DÉFENSE — STOP — AMITIÉS.

GUY

— Correspondance entre GUY DEBORD & ALEXANDER TROCCHI

1. Tract daté du 31 mars 1963 présenté comme un supplément à l’I.S. n° 8, intitulé L’Internationale situationniste prend l’offensive et prétendument signé par Debord et Vaneigem. [Note de l’édition Fayard.]

 

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Guy Debord à Raoul Hausmann

[Guy Debord, Correspondance, volume II, septembre 1960 - décembre 1964
Librairie Arthème Fayard, Paris, 14 février 2001]

Paris, le 22 avril 1963

CHER MONSIEUR,

Je vous ai envoyé aujourd’hui quelques tracts situationnistes. Et je voulais aussi vous faire savoir que l’ancienne adresse où j’ai pu encore trouver votre lettre du 5 avril n’est plus utilisable. Pour toute communication éventuelle notre adresse est : Boîte postale 75-06, Paris.

Nous serons très intéressés par votre prochain livre1. Nous pensons comme vous que tout ordre qui paraît « inébranlable et assuré pour toujours » peut se disloquer très vite quand viennent certaines périodes favorables. Et les décorateurs — de tous styles — de cet ordre s’évanouissent alors avec lui.

Bien cordialement à vous,

GUY DEBORD

— Correspondance entre GUY DEBORD & RAOUL HAUSMANN

1. Chances ou Fin du néo-dadaïsme (qui ne paraîtra pas). [Note de l’édition Fayard.]

 

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Guy Debord à Alexander Trocchi

[Guy Debord, Correspondance, volume II, septembre 1960 - décembre 1964
Librairie Arthème Fayard, Paris, 14 février 2001]

22 avril [19]63

CHER ALEX,

Comme je te l’ai télégraphié dès que j’ai vu Jean-Charles, et que j’ai ainsi appris votre erreur, le tract ronéotypé qui annonçait l’exclusion d’Attila Kotányi est un faux. Nous savons exactement l’origine : stalinisme belge (bien qu’il soit posté de Paris).

Il faut, à propos de cette affaire, noter quelques points :

1°) Il n’a jamais été dans la pratique de l’I[nternationale] S[ituationniste] d’exclure quelqu’un sans longues délibérations, sans motifs connus de tout le monde. En un mot, nous savons que ceci est une arme sérieuse (et nous n’avons jamais fait cela que parce que c’est une arme sérieuse, sans laquelle nous n’aurions pas pu maintenir et développer notre base. Nous ne plaisantons pas stupidement avec cette idée d’exclusion). Je suis peiné que tu puisses croire qu’une décision, grave et discutable, d’un groupe dont tu fais partie pourrait être prise sans que personne ait demandé ton avis !

2°) Le style de cette falsification est si nettement idiot, et faiblement ironique contre nous, que je regrette que tu n’aies pas jugé, sur le seul critère du style, que ce ne pouvait pas être écrit par Vaneigem ou moi. L’ironie de ces staliniens aigris commence même par une parodie de ton dernier article (« Technique du coup du monde »). Je ne pense pas que nous nous définissions comme des écrivains. Mais il me semble que les questions du langage, de la communication, sont si intimement liées à notre projet d’ensemble, que c’est un mauvais signe quand nous pouvons nous méprendre à ce point sur nous-mêmes. Par définition, ce qui est bête comme acte et bête comme « ton » ne peut pas avoir été écrit par moi, ni par mes amis.

Tu parlais déjà, dans ta lettre du 8 avril, de certains « malentendus » avec nous. Je suis du même avis que toi en considérant que ces malentendus de détail seront éclaircis par plus d’explications communes, et que nous sommes fondamentalement d’accord.

Cependant je peux dire que la première attitude pour éviter les malentendus et les erreurs d’interprétation sur nos textes (et l’action commune de l’I.S.) c’est d’admettre, comme hypothèse de travail au départ, que ce sont des textes très intelligents (même dans leur style1 assez « pénible » qui est fondé sur le détournement d’un grand nombre de phrases, de la pensée marxiste ou de l’art moderne le plus important, « que nous remettons sur leurs pieds », après que l’époque de stérilité misérable 1930-1960 les ait fait marcher sur la tête).

3°) Cette histoire de faux permet de reposer tout le problème des exclusions. Je souhaite fortement qu’en Angleterre nous n’ayons pas d’ennemis dans le milieu intellectuel ; que tout le monde soit honnête et veuille nous comprendre. Nous allons voir. Mais ce qui est sûr, c’est que les conditions de notre action sur le continent ont été extrêmement différentes. Nous passionnons beaucoup de gens mais tous ne sont pas pour cela avec nous ; beaucoup sont contre ! Et cela de toutes les façons, avec toutes les violences, dont ce faux n’est qu’un exemple moyen.

Dans toute la formation de l’I.S., il n’y a eu que trois démissions (et alors on ne peut retenir les gens ; celui par exemple qui va se reconvertir au parti communiste) et peut-être deux dizaines d’exclusions absolument nécessaires parce que des gens se réclamant de nous disaient et faisaient des choses inacceptables pour notre projet commun. Cela vient du fait qu’ils ne le comprenaient pas et ne l’approuvaient pas (le deuxième point dépendant du premier). Je pense encore que c’est trop de gens. Mais l’erreur était bien plus de les avoir acceptés trop vite que de les renvoyer quand on découvre que le crédit qu’on leur faisait est vraiment trop généreux et stupide. Personnellement, j’ai toujours lutté contre les exclusions en soutenant une politique de « la porte presque fermée ». Mais là (Allemagne, Scandinavie) où fut pratiquée une « politique de la porte ouverte » les exclusions ont été nombreuses.

La meilleure preuve que notre action a été assez réussie, c’est à quel point nous sommes plus intelligents et plus profonds, théoriquement et pratiquement, qu’en 1956 par exemple. Enfin dans l’I.S. actuellement, à part un ou deux peut-être, les « membres du C[onseil] C[entral] » et les quelques situationnistes nouveaux que nous avons admis depuis Anvers sont tous des gens sûrs, ayant à peu près également compris la totalité de notre problème, et à peu près également capables pour toutes les formes d’action que nous envisageons.

Je précise à ce propos que Jean-Charles, quoique sympathique et certainement intelligent, a seulement le statut de sympathisant et ne saurait être admis dans l’I.S. avant un temps de perfectionnement sans doute long (pour être plus capable de cohérence et d’activité personnelle), faute de quoi il resterait un simple disciple, espèce que nous voulons garder à l’extérieur de l’I.S.

Le nommé Pierre Rouxel, au contraire, ne nous a rencontrés qu’une fois. Nous ne pouvons même pas dire qu’il est intelligent ou sympathique. Il est peut-être bête, et peut-être même en relations un peu suspectes avec diverses nuances politiques de la gauche, qui ne nous aiment pas beaucoup ici. Qui en même temps s’intéressent à nos idées et disent que nous sommes des farceurs, des beatniks ou des alcooliques.

À ce propos, j’ai déjà écrit pour toi qu’il faut se méfier des manœuvres possibles de ce groupe Solidarity for the Worker’s Power — qui a des correspondants en France et aux U.S.A. — mais toujours en gardant une attitude de sympathie et d’intérêt pour leurs problèmes (de la lutte antiatomique au pouvoir des Conseils ouvriers), qui sont en effet des problèmes très intéressants. Où nous avons quelques mots à dire nous-mêmes.

D’après ta lettre, et ce que me dit Jean-Charles, le moment est presque arrivé où je dois venir passer quelque temps en Angleterre. Est-ce que la date du 15 mai convient pour toi ? On a effectivement beaucoup de choses à se dire.

Amitiés,

GUY

P.-S. : Les questions financières par ici s’aggravant plutôt encore, est-ce qu’il y a quelque chose de nouveau à Londres, du côté du cinéma ou des traductions de Michèle [Bernstein] ?

— Correspondance entre GUY DEBORD & ALEXANDER TROCCHI

1. Note en marge : « On peut dire, en termes de Brecht : nous mettons une certaine distanciation dans notre énoncé théorique, pour qu’il ne devienne pas lui-même “spectaculaire”. » [Note de l’édition Fayard.]

 

ù

 

Guy Debord à Ivan Chtcheglov

[Guy Debord, Correspondance, volume II, septembre 1960 - décembre 1964
Librairie Arthème Fayard, Paris, 14 février 2001]

30 avril 1963

CHER IVAN,

Je réponds maintenant à beaucoup de choses ensemble (à cause du retard de cette lettre : excuse-m’en, un stock d’histoires ayant surgi inopinément). Il y a quelques points sur lesquels je ne répondrai pas, à cause des raisons exposées à la fin de ta dernière lettre — du 28 avril. Mais, de ces points, j’ai pris bonne note aussi.

Merci pour le commentaire du début du Formulaire — en fait de l’épigraphe seulement1. J’espère que l’on pourra avoir aussi toute la suite. La critique à l’aide de films détournés peut être éclairante (je retrouve ici la technique que tu avais commencé d’appliquer dans ton « Corpus quadridimensionel dont l’action se passait aussi dans quelques romans parus et à paraître »). Dans le cas de Crin-Blanc2 il y a une faiblesse découlant de sa fabrication délibérément sous-mythologique, par un réalisateur médiocre — mais en même temps je m’avise que ce film (la seule fois où je l’ai vu) me rappelle une époque, etc., autrement dit le « corpus » s’élargit toujours. Il existe un western appelé Johnny Guitar dont tout le début est une frappante illustration de la dérive, et même, de l’avis de Michèle [Bernstein] et moi, image d’un personnage qui te ressemble assez dans la rencontre. Après un tiers environ, le film continue en aventure conventionnelle.

Sur le rôle de l’alcool, nous sommes bien d’accord. Je passe aussi par des étapes aux jus de fruits, comme tu dis. Tout de même le dosage est difficile.

Planète (80 000 lecteurs maintenant) est en effet le pire. Et c’est relié à toute la vulgarité d’une nouvelle société d’oppression mêlée de confort, intellectuel et autre, spectaculaire. La subtilité de cette société, qui existe aussi, est ailleurs. Les deux aspects sont à détruire, rien de moins. Ta formule « vases communiquants », sur ceux qui cachent toute actuelle recherche artistique et vitale et désoccultent la pensée ancienne ou les secrets historiques (« Rien à y comprendre » et « Nous avons tout compris »), est très bonne. Ce sont les valets de l’ordre, ils sont éternellement les mêmes ennemis de ceux qui ont protégé ou créé quelque chose contre l’ordre. Divulguer faussement ou cacher complètement sont deux tactiques successives : les deux sont appliquées par exemple à la pensée et à l’art moderne.

Oui, les spécialistes du monde hyper-spécialisé d’aujourd’hui, justement, sont devenus tels que l’on peut faire mieux qu’eux, avec le minimum de mise en route, pour peu que l’on parte d’un centre (de l’hypothèse d’un centre ?). Alors qu’il était impossible de dire la même chose du spécialiste ancien, l’artisan : tout le monde se référait au même centre, et la qualité était dans l’approfondissement d’un jeu fixé. Aujourd’hui toutes les règles du jeu s’en vont en fumée, comme disait presque Marx, on peut donc chercher à ressusciter des jeux — ou des luxes — anciens (et alors on est avec les forces dominantes, qui au fond ne permettent aucun jeu, cf. les pauvres fêtes mérovingiennes de pacotille que se donne Georges Mathieu). On peut au contraire approcher d’un nouveau jeu universel sans règles (« Quand on pense que tous ces gens sont ici pour que l’on joue avec ! » — Gilles Ivain, sur le boulevard Saint-Michel). Ceci est du côté de la seule révolution possible, et hautement difficile, dans notre époque.

La dérive est, comme tu dis, un métier dangereux, pour les raisons complexes qui font que l’exploration géographique, le militantisme politique, peut-être aussi certaines recherches en psychanalyse (voir Wilhelm Reich) ont été ou sont encore des activités dangereuses.

Pour la revue, il faudrait que nous puissions en parler de vive voix (pour envisager plus précisément des dépassements). Nous savons bien qu’il y a des défauts inévitables (ou si difficilement évitables ?) dans certaines formes d’action. Le fait même de publier une revue un peu « régulière » est très fâcheux ; et en même temps une de nos seules armes pour définir et tenir une base. Quant aux changements à l’intérieur même de cette série, on en parle. Mais il y a tant de problèmes, et de choses à faire.

Maryse3 : disparue depuis deux ou trois mois, à la suite de Carlos, toujours plus voyageur, et voyageur inconfortable. Plus d’Homme de Main4. Il doit être possible de la joindre par ses parents ?

Ce que tu dis sur « le château »5 me confirme que cette organisation ne peut que reproduire — en grossi, en plus grossier — l’organisation du monde extérieur. Les chances de résistance y sont encore moindres. Nous devons « nous soigner nous-mêmes », c’est évident, il n’y a personne d’autre à qui nous puissions reconnaître le niveau suffisant de compréhension et de praxis pour ce faire. L’aspect le plus intéressant que tu montres dans l’évolution du château vers la bureaucratie normale, c’est le rôle de la transformation architecturale (et, subséquemment, la régression du vocabulaire : qui parle le langage de l’ennemi est devenu l’ennemi, malgré sa « bonne volonté »).

Une architecture adaptée à l’usage situationniste, plus un haut niveau de pensée et de liberté parmi les habitants, si nous pouvons les réunir — en Angleterre ou ailleurs — vont permettre quelques petites situations sans avenir, dont l’avenir sera agréablement modifié.

Puisque la grève de 1963 leur rappelle celle d’août 1953, à nous de jouer pour que la suite nous rappelle l’autre suite.

Amitiés,

GUY

(Michèle : il faut descendre du château et le regarder passer6.)

— Correspondance entre GUY DEBORD & IVAN CHTCHEGLOV

1. « Sire, je suis de l’autre pays. » [Note de l’édition Fayard.]

2. Film d’Albert Lamorice (1953). [Note de l’édition Fayard.]

3. Ancienne compagne de Ghislain de Marbaix surnommée la Tatouée. [Note de l’édition Fayard.]

4. Bar d’ambiance lancé par Ghislain de Marbaix et sa compagne, rue Jussieu. [Note de l’édition Fayard.]

5. Le château de La Chesnais (à Chailles, Loir-et-Cher) avait été transformé en hôpital psychiatrique « d’avant-garde ». [Note de l’édition Fayard.]

6. Allusion au mot d’Ivan à propos du bar Le Tonneau d’Or, rue de la Montagne-Sainte-Geneviève : « Il faut descendre du Tonneau et le regarder passer. » [Note de l’édition Fayard.]

 

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Guy Debord à Ivan Chtcheglov

[Guy Debord, Correspondance, volume II, septembre 1960 - décembre 1964
Librairie Arthème Fayard, Paris, 14 février 2001]

12 mai [19]63

CHER IVAN,

Les coïncidences — et plutôt les entrelacs des pistes sur la même pente que nous suivons, vers le même « passage du nord-ouest » j’espère — continuent ainsi. Le saloon, et le feu qui le brûle1

Il faudra en effet des centres, une fois réalisés concrètement. Ressemblant à chacun de nous. Ou d’autres ressemblant aux moments de rencontre, à ce qui nous ressemble en commun ?

L’air du temps, qui se manifeste dans L’Express que tu cites (et plus encore dans les travaux des pédagogues rapportés là), nous le voyons envelopper toujours plus de choses. Mais partout, jusque-là où le plagiat de telle de nos idées, de tel de nos textes précis est tout à fait incontestable, c’est la même reprise en dégradé. C’est toujours le meilleur — le plus radical — qui a été oublié ; en même temps que toute référence bien sûr. Conclusion : nous ne pourrons imposer la vérité, et l’étendue réelle, de nos « recherches » que par l’éclat de certaines expériences. Je ne veux absolument pas dire, par éclat, la grande vogue publicitaire. Plutôt tout le contraire.

Straram ? Je suppose qu’il est toujours Arnesbury Avenue. C’est moi qui me suis trouvé fatigué (comme toi aussi avant, m’as-tu dit ?) de répondre à sa dernière lettre, il y a peut-être un an. Son évolution canadienne me paraît déboucher finalement (après un bon sursaut en 1960, marqué par sa revue presque situationniste) sur un ralliement respectueux à une « culture parisienne » que nous méprisons totalement ici — il fait ainsi des critiques de cinéma enthousiastes, très provinciales — en même temps qu’il se lance dans toute une spécialisation syndicaliste à tendance crypto-khrouchtchevienne — voyage à Moscou ! Dans cette affaire aussi, il arrive trop tard, ignore que le syndicalisme a maintenant pour fonction principale l’intégration des travailleurs à la société, et que le « socialisme » russe reproduit fondamentalement les modes d’être et les intérêts de la même société sous une variante rivale. Donc Patrick a régressé par rapport à la qualité de révolte qu’il avait à dix-huit ans, même si elle s’accompagnait d’une certaine facilité et confusion dans les idées. Peut-être serait-il tout de même heureusement secoué par des lettres de toi ?

Nous aimons beaucoup les citations des pièces de 1960-61.

Le nomadisme ? Il continue de différentes façons. La dernière : deux Japonais délégués de Zengakuren (la redoutable organisation révolutionnaire des étudiants — celle qui, par ses batailles dans la rue, a empêché Eisenhower de venir au Japon). En route pour un congrès international à Alger, ils sont arrivés à Paris, et directement chez moi (à cause du dernier numéro de la revue). Ils y campent depuis ; et nous découvrons une remarquable communauté de préoccupations et perspectives.

Et les heureuses journées de l’été, en se rappelant sa propre enfance.

GUY

— Correspondance entre GUY DEBORD & IVAN CHTCHEGLOV

1. Allusion au film Johnny Guitar. [Note de l’édition Fayard.]

 

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Guy Debord à Alexander Trocchi

[Guy Debord, Correspondance, volume II, septembre 1960 - décembre 1964
Librairie Arthème Fayard, Paris, 14 février 2001]

12 mai [19]63

CHER ALEX,

Il ne faut pas se décourager si le projet « universitaire » se heurte à des obstacles maintenant en Angleterre. Je crois que déjà certaines possibilités de réalisation se dessinent au Danemark (où nous avons très bien contré Arnold Wesker1).

En ce moment sont à Paris (habitent chez moi) deux délégués de Zengakuren, le grand mouvement d’étudiants révolutionnaires au Japon. La conjonction de nos idées est fort intéressante, sur beaucoup de points. La nécessité de traductions anglaises va se faire encore plus pressante : il y a là une grande quantité de lecteurs que nos thèses passionneront, mais on ne peut les diffuser en français. Je commence à faire exécuter des traductions en basic english par plusieurs camarades.

Avant de quitter Londres, ne peux-tu faire quelque chose pour moi du côté du cinéma ? Dans la période présente, non seulement me manquent d’assez grandes sommes d’argent, mais aussi des petites !

Amitiés,

GUY

— Correspondance entre GUY DEBORD & ALEXANDER TROCCHI

1. Arnold Wesker, essayiste anglais, organisateur de festivals culturels. [Note de l’édition Fayard.]

 

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Guy Debord à Raoul Vaneigem

[Guy Debord, Correspondance, volume II, septembre 1960 - décembre 1964
Librairie Arthème Fayard, Paris, 14 février 2001]

[Danemark], 8 juin [19]63

CHER RAOUL,

J’ai dû finalement venir à l’aide de Martin, car ici une activité pratique considérable est engagée, dans un désordre maximum, et nous sommes obligés d’en sortir dans un délai déplorablement court. On travaille excessivement. On a reporté l’ouverture de l’abri au samedi 22 juin. Tout ceci nous laisse une bonne chance de réaliser le projet que nous avions fixé. Mais ce sera plus ou moins en suspens jusqu’au dernier jour.

On attend des nouvelles de Deutsche Gedanke — tout de même ! — et, en plus des exemplaires dont nous avons besoin, on compte bien recevoir les 5 tableaux1 promis par Jan [Strijbosch]. Tout le reste se fait ici, c’est-à-dire en sept ou huit points (très mal coordonnés), à tous les bouts du Danemark.

J’espère qu’ensuite je pourrai aller en Belgique.

Oui, il serait temps de préparer un manifeste par un assemblage de nos réponses à la question : « Qu’est-ce que l’I.S. ? Que doit faire l’I.S. ? » Une enquête vers l’extérieur serait à placer dans cette perspective, de même que la suite de nos documents ronéotypés.

Je ne crois pas que ton texte mérite d’être simplement supprimé (il y a de bonnes phrases), ni surtout que celui que nous avons envisagé ensemble l’englobe et le remplace. Deux raisons à ceci :

a) celui même dont nous avions parlé est aussi un texte partiel (lutte sur un seul front, si je peux dire : comment expliquer aux groupes autonomes leurs rapports possibles avec un « centre » I.S. Ceci n’est pas notre seul problème pour définir, faire connaître, faire progresser ce centre).

b) je crois qu’il faut encore plus creuser le projet d’une suite ronéotypée. Je me trouvais il y a deux semaines devant la possibilité de lancer un bon numéro de Potlatch, et je crois que ce ne serait pas le mieux de reprendre ce stade d’action. Il faudrait bien plutôt — me semble-t-il à la réflexion — nous orienter vers la publication d’une suite de documents autonomes. Mais alors ils doivent avoir plus de poids que « l’I.S. et la spontanéité » qui était plutôt calculé — ou compris par moi — pour être le texte de base d’un bulletin un peu genre Potlatch mais sans titre ni numéro. Pour un tel bulletin, j’avais quelques courts articles et informations très bien. Mais alors il faudrait prendre carrément un titre, etc. (bref, choisir si oui ou non un bulletin ronéotypé régulier est une opération « rentable », qui la ferait, etc.).

Attila [Kotányi] m’a annoncé quelques notes pour une discussion interne, dans l’I.S. (sur notre emploi de l’art, à peu près). On pourrait y joindre ton article. Et peut-être aurais-je le temps d’écrire aussi quelques propositions sur nos activités possibles ?

Sur ce que tu dis à propos des conflits personnels, du projet situationniste, des gens qui sont autour, j’avancerais les quelques remarques suivantes :

l’I.S. doit servir nos passions. Les réaliser. Et ceci bien sûr au sens où « nous n’avons pas un seul vice mais plusieurs » ; et dans ce qu’elles peuvent avoir de plus profond, donc de réalisables dans ce projet commun. Mais pas seulement en ce sens. L’I.S. ne doit pas gêner nos passions (au sens où Attila écrivait que les situationnistes n’ont pas pour but de s’opposer à la création des situations). Donc chacun doit pouvoir choisir lui-même quelle attitude il préfère à une autre, mais sans jamais « sacrifier » à l’I.S. une passion particulière (ni l’inverse évidemment, puisque le projet situationniste n’a rien à faire avec la confrontation à une passion particulière à ce niveau). On doit même « comprendre » la passion minimum — négative — de ne pas s’ennuyer si des situationnistes parfois ne sont pas empêchés d’être fatigants par la seule possession de leur « carte du mouvement ».

Ceci serait une déclaration parfaitement métaphysique si on ne la voyait pas clairement dans un « milieu » historique, dans la réalité d’une action pratique commune, c’est-à-dire dans la réalité des relations pratiques internes de l’I.S., et de l’I.S. avec l’extérieur (que l’extérieur soit ici ou là tout à fait hostile ou à moitié séduit). L’exemple d’Hennebert le jour où, chez mes amis, il a abusé de notre patience, est éclairant par son grossissement caricatural. Hennebert est un individu qui, toute sa vie, s’est laissé faire, a fait son autocritique perpétuelle, a suivi la force et tous les conformismes. Au nom de la liberté que nous (mais sans lui, et même contre lui), nous avons défendue théoriquement et pratiquement, cet Hennebert exige tout à coup la reconnaissance de sa « liberté pure » contre nous justement. Et ceci sous la forme du plus trivial caprice, que le mouvement de socialisation des enfants de six ans a déjà dépassé. Et il pense peut-être nous embarrasser théoriquement trente secondes par cette exigence sous-srirnérienne (je rappelle que c’était : ne pas aller chercher de la bière, et s’opposer aussi à ce que d’autres y aillent parce qu’il se trouvait si bien dans notre compagnie à tous). Excepté le fait qu’Hennebert est un imbécile — ce qui lui garantissait l’ampleur tragique de tourments de cette sauce — on peut dire que nous avons là l’exemple maximum d’un individu systématiquement éloigné de nous pour toutes questions pratiques (comme il l’était théoriquement en se proclamant stalinien de gauche).

S’il s’agit des relations, beaucoup plus subtiles et intéressantes certes, dans l’I.S., ce qui risquerait d’arriver très fâcheusement, c’est que certains de nous prennent figure de spécialistes de la pratique de l’I.S. (ou même, précisément, des conflits vers l’extérieur). Du fait de cette spécialisation, d’autres pourraient en venir à attendre de ces « praticiens » une conduite toujours « responsable », « dévouée au bien commun », « correcte » (etc., tout le vocabulaire du parti politique) dont eux-mêmes en même temps auraient bien facilement l’élégance de s’affranchir (du moins dans la « société situationniste » justement). C’était par exemple le comportement d’Uwe [Lausen] chez Martin, et un peu aussi en Belgique. Bien entendu ces « spécialistes » seraient les plus coupables s’ils acceptaient, par la suite de leur conduite, une telle conception qui signifierait la régression fondamentale du projet situationniste. J’ai déjà écrit, à d’autres propos, que le changement des rapports conventionnels ne peut qu’être lié à une cohérence approfondie. Au contraire, la pseudo-affirmation de soi dans l’I.S. par l’insolence, c’est-à-dire la dénonciation unilatérale de la communication égale, n’est qu’un remous superficiel qui ne mérite que de s’attirer en retour une insolence supérieure. Je ne vois pas là de vrais conflits personnels et encore moins leur passage à de fausses explications idéologiques. Mais seulement cette question élémentaire de la nécessité d’une participation à peu près égale à tous les aspects de la pratique. Cette « égalité » n’est pas à attendre toujours de l’accroissement de la participation des « jeunes situationnistes » ; on peut y tendre aussi en quelques cas par la diminution de la participation desdits réputés spécialistes. Bien sûr, comme disait Attila sur la route de Hambourg, nous avons des « éducations » et expériences si différentes que l’admirable est plutôt que nous soyons presque tous profondément d’accord sur tant de choses (et aussi des choses pratiques).

La deuxième question sérieuse — à poser sérieusement —, tout à fait imbriquée dans la première, que doivent faire les situationnistes, et qui n’a de sens que par rapport aux réponses concrètes à la première, c’est : « Qui peut être dans l’I.S. ? » — et non : « Qui est situationniste ? », question creuse, à laquelle je ne me préoccuperai jamais de répondre. On ne peut contrôler les modes. De plus, à un sens très large, on pourrait déclarer plus ou moins situationnistes « toutes les bêtes » ; et même certains éléments irrécupérables, comme les gouvernants-sous-abris-atomiques, peuvent être considérés aussi comme des gens dont le « sens situationniste » a été dévié et perverti (il y a incontestablement quelque chose de ludique, quelque chose du lieu passionnellement aménagé dans le monde de RSG-6, mais cela a nettement viré à l’aigre).

À partir des réponses cohérentes à ces questions, on peut envisager tout le reste, et ce point 4 où tu parles de polariser l’attention sur le « radicalisme radiographié » dans certains gestes. Bien d’accord. C’est ce que j’ai essayé de faire, ici, à propos des Spies for Peace et des étudiants de Caracas. Mais ton vocabulaire nous ramène à ma position ci-dessus : il faut qu’il y ait eu gestes. Une des pires sources d’erreurs, de discussions creuses et de pertes de temps dans l’I.S. depuis deux ans, a été de traiter trop souvent comme des gestes réels certaines tendances affectives que l’on pouvait déceler chez des gens (exemple record : les jeunes de P.O. en 1961). Je ne veux pas dire que ces tendances affectives sont méprisables, sans intérêt ou sans charme. Pour un côté qui nous plaît vivement chez quelqu’un au premier abord, il y a parfois dix autres côtés qui sont en contradiction directe avec notre projet global, ou seulement des vieilles trivialités qui vont au moins indirectement contre la cohérence de ce projet. Si l’accord justifié que l’on donne sur un point mène à souscrire aux autres concessions, ou à voir comme nouveautés les vieilleries inattendues, il est visible que l’on ne fait progresser personne, mais plutôt que l’on fait s’effondrer la base même qui avait attiré, plus ou moins confusément, ces gens incomplets (c’est-à-dire plus incomplets encore que la moyenne exigible d’une avant-garde qui est acculée à la cohérence par une société qui organise cette « incomplétude »). Autrement dit, la question de l’organisation révolutionnaire, que les P.O. avaient posée avec si peu de profondeur, ne doit pas maintenant être traitée par nous à l’esbroufe. Il est sûrement malsain de tout juger à la lumière, vraiment « spectaculaire » et donc confusionniste, de l’engagement dans l’I.S. Les cartouches font de piètres sandwiches et on tire mal avec des tartes à la crème, comme disait Lumumba.

Amitiés,

GUY

1. Là où il y a liberté, il n’y a pas d’État ; Éloge de Gracchus Babeuf ; Un spectre hante le monde : le spectre des Conseils ouvriers ; Nous recommencerons la guerre d’Espagne, et cette fois nous allons la gagner ; L’arme de la critique ne saurait suppléer à la critique des armes, de Jan Strijbosch. [Note de l’édition Fayard.]

 

ù

 

Guy Debord à Ivan Chtcheglov

[Guy Debord, Correspondance, volume II, septembre 1960 - décembre 1964
Librairie Arthème Fayard, Paris, 14 février 2001]

[Danemark], 8 juin [19]63

CHER IVAN,

Je collectionne les fragments de commentaires et corrections pour la prochaine édition critique du « Formulaire ». Oui, pourquoi pas 600 pages ?

J’apprécie le geste du psychiatre. J’avais envoyé I.S. 7 et 8 à son intention, parce que je croyais t’avoir déjà envoyé une collection complète de l’I.S., il y a environ deux mois. Tu ne l’as pas reçue ? (Je ne suis pas absolument sûr.)

La charmante sœur a disparu de nos vies depuis assez longtemps, heureuse, croyons-nous, avec un jeune homme qui fait — ou fera — du théâtre. Mais d’autres suivent (même des sœurs, Michèle [Bernstein] a un stock).

Les aventures recommencent… Un soir de la semaine dernière, comme Michèle et moi traversions le quartier juif avec une jeune fille1, celle-ci — cultivée pourtant — demande soudain ce que veut dire l’inscription : « Nourriture cachée ». On s’avise alors qu’il s’agit du mot « Kasher », mais précisément sur la vitrine du restaurant qui occupe maintenant l’emplacement du redoutable Bar du Trésor2 ! Qu’en dis-tu ? Oui, il faudra « construire l’hacienda » nous-mêmes, pour nous-mêmes.

Depuis quelques jours nous sommes au Danemark où se prépare une manifestation assez amusante3. Je t’enverrai la documentation bientôt (c’est la lutte contre le contraire de l’hacienda).

Et Thomas de Quincey buvant4.

On sera revenus à Paris vers le 25. Est-ce que tu penses y passer dans un avenir proche ?

Toujours dans le souvenir de l’été danois,

GUY

— Correspondance entre GUY DEBORD & IVAN CHTCHEGLOV

1. Alice Becker-Ho. [Note de l’édition Fayard.]

2. Rue Vieille-du-Temple (cf. Les Lèvres nues n° 9 : « Deux comptes rendus de dérive »). [Note de l’édition Fayard.]

3. Destruction of the RSG-6. [Note de l’édition Fayard.]

4. « … L’opium poison doux et chaste » (Cors de chasse, d’Apollinaire). [Note de l’édition Fayard.]

 

ù

 

Guy Debord à Raoul Vaneigem

[Guy Debord, Correspondance, volume II, septembre 1960 - décembre 1964
Librairie Arthème Fayard, Paris, 14 février 2001]

[Danemark], 19 juin 1963

CHER RAOUL,

Poursuivons cet échange de précisions, malgré une certaine confusion supplémentaire qu’y introduit, je crois, le style rapide de ces lettres (je vois que la mienne n’était pas assez explicite sur quelques points) : confusion et malentendus qu’un dialogue direct écartera certainement, pour arriver aux questions réellement ouvertes.

Je crois tout de même que, d’ici là, on peut encore défricher le terrain par écrit.

D’abord il apparaît que nous pensons également que l’appartenance à l’I.S. (le fait d’être, dans la pratique, situationniste) est inséparable d’une certaine capacité. Cette « capacité » ne peut évidemment être définie a priori parce qu’elle est, dans une certaine mesure, fluide et partiellement différente de l’un à l’autre des gens engagés dans cette tâche complexe : parce qu’elle est historique et variera avec différents stades de notre action : enfin parce qu’il n’est pas question de l’envisager comme entièrement donnée chez chacun de nos interlocuteurs. Pas plus qu’il n’est question d’attendre de l’I.S. qu’elle apporte intégralement, ou même dans une assez large mesure, cette capacité à un interlocuteur. L’I.S. ne peut que dialoguer sur la base du dialogue pratique déjà possible, non devenir « école primaire », ne serait-ce que parce qu’il y a d’autres tâches urgentes — et plus plaisantes.

Cet accord entre nous — et, je pense, tous les membres actuels de l’I.S. — laisse ouverte la question : quelles sont les cinq ou six formes d’action immédiatement au premier rang des préoccupations de l’I.S. ? Je ne veux pas dire que nous avons encore le loisir de les définir par la pure spéculation ou par le brain storming. Je suppose que cet exercice nous mènera tous à prendre plus nettement conscience que nous avons déjà sur les bras deux ou trois de ces formes d’action engagées, qu’il faut poursuivre, plus peut-être une qu’il faut cesser, plus la possibilité d’en choisir encore une ou deux nouvelles entre seulement trois ou quatre qui se proposent. De ces réponses précises découlera évidemment une définition, provisoire, de la « capacité ».

Reprenons la question des heurts à l’intérieur de l’I.S. que je vois — à présent qu’un certain niveau est atteint : cf. la mort de Nash, etc. — entièrement dépendante de cette première question ouverte (même la crise avec Uwe [Lausen] est directement un débat sur les méthodes d’activité pratique). Je voudrais dire d’abord qu’à mon sens il va de soi que personne n’a à « exiger des justifications ou à en donner », comme tu l’écris. Je considère au contraire cette discussion comme un schéma élémentaire, servant à décrire et comprendre le fonctionnement — et les dysfonctionnements — d’une organisation qui est moins étendue mais plus compliquée que le parti révolutionnaire classique. On pourrait plus véridiquement reconstruire ces anecdotes en nommant A, B ou X les porteurs occasionnels de diverses attitudes.

C’est dire que je ne pense pas qu’il y ait blessures, à laver à l’eau fraîche ou autrement. Et même il me paraît que dans une aventure comme celle-ci, vu la très forte pression désintégrante de l’environnement hostile (la tenaille dont tu parles dans « B[analités] de B[ase] »), toute blessure réelle se gangrène très vite. Comme est fatale toute petite brèche dans les parages où allait le sous-marin Thresher (« dépassons profondeur expérimentale1 »). On a un exemple très impressionnant avec Gilles Ivain.

Il est donc d’autant plus important d’éviter les « blessures ». De ne pas laisser s’installer des relations en porte à faux. Je pense comme toi que l’insolence va de pair avec l’exclusion, que le terme logique de l’insolence est l’exclusion. Toute exclusion est réciproque. Mais il y a aussi un rapport de forces dans cette réciprocité (qui a raison ?). Il s’agit d’avoir les moyens de son insolence (ce qui veut dire sûrement d’abord : en avoir la justification). Ainsi j’approuve plus que personne l’insolence de l’I.S. contre le monde, son refus, l’exclusion de tant de gens (dont en fait une infime fraction est composée d’« exclus » au sens d’« anciens situationnistes »). Par contre, entre nous, par hypothèse, cette insolence est inutile et néfaste. Sauf, bien sûr, si elle va avec le développement de tout un programme opposé, sur des points centraux, à notre programme commun connu jusqu’ici (alors cette insolence serait fondée, en « bien » ou en « mal », peu importe ici).

Ceci dit, le point où nous semblons être en désaccord, c’est quand tu proposes une alternative entre tout accepter (plus ou moins « au nom de l’I.S. ») ou tuer carrément. Pour ma part, je refuse sûrement une telle alternative : je veux tuer le moins de gens possibles (à tous les sens imagés ou concrets du mot tuer) et en même temps je veux faire ou subir le moins de choses possible de ce qui me déplaît. Et ceci dans l’I.S. aussi bien que dans le monde extérieur. Cette contradiction, je pense, est posée et réglée, plus ou moins heureusement, dans les différents moments de la pratique de la vie, et aussi bien de cette action que nous voulons révolutionnaire.

Liée à cette opposition — et même sans doute la produisant — est la manière différente dont nous qualifions insolence et heurts intersubjectifs.

Dans ta récente lettre, tu définis l’insolence par le moment où « les heurts intersubjectifs sont portés au degré de l’absolu » (en fait tu réduis toute manifestation d’insolence à son stade suprême : l’exclusion. Ainsi, si j’ose dire, on n’aurait le droit de refuser dans la conduite d’autrui que le moment où elle vous exclut, et on n’aurait soi-même d’autre arme que l’exclusion. Quel équilibre de la terreur !). Je n’ai pas vu, depuis assez longtemps, des « heurts intersubjectifs » dignes de ce nom, ni portés au degré de l’absolu. J’appellerai pourtant « insolence » — plus ou moins bénigne ou « excusable », cela va de soi : notable comme indice de dysfonctionnement — quelques attitudes inadaptées, disons, un peu inamicales. Je crois qu’il ne faut pas faire mine de les encourager, ni de s’y soumettre, même temporairement, d’où qu’elles viennent. Ce style inamical ne pourrait que rendre l’I.S. moins intéressante à l’intérieur, et un peu ridicule pour le témoin extérieur. Nous sommes, et « méritons » d’être, tous juges sur la conduite du plus maladroit des situationnistes. Je ne prétends pas réduire les relations situationnistes à un sentiment comme l’amitié : mais je crois pourtant que nous nagerions plus que jamais dans les abstractions si nous prétendions porter dans le monde les valeurs du dialogue sans que l’I.S. paie d’exemple, au minimum par de l’amitié entre les situationnistes (ou par tout dépassement qui soit un enrichissement des rapports amicaux conventionnels, non leur liquidation désinvolte).

Je ne crois pas, finalement, que quelqu’un dans l’I.S. use en réalité de formes de communication spectaculaire ou sophistique (alors que nous y sommes parfois contraints dans la discussion contre l’ennemi). En tout cas, je ne le reproche à personne. Il me semble que c’est le manque de réflexion commune sur les aspects élémentaires de plusieurs de nos problèmes qui donne indubitablement cette impression irritante à quelques propos. En disant ceci, je ne sous-entends pas du tout que j’aurais moi-même développé cette réflexion élémentaire sur l’ensemble du champ de notre activité.

Enfin, le principal malentendu : en parlant de « spécialistes » de l’I.S. je n’avais absolument pas en vue le niveau trivial, où par exemple Martin et moi « organisons » la manifestation d’Odense (bien que évidemment nous devions tendre à ce que ces sortes de spécialisations de hasard ne se renforcent pas toujours d’elles-mêmes à longue échéance). Et surtout, heureusement, bien d’autres que Martin et moi ont fait beaucoup de choses à différents degrés de notre praxis. La parution, même très laborieuse, de Deutsche Gedanke est (sera) une très importante contribution de la Belgique : et nous pavoiserons tous.

À ce propos : il s’agit d’assurer la diffusion sans délai du service de presse de cette revue si tardive. J’espère que vous avez pu arranger cela sans trop de peine. Ici, pour que tous les documents de la manifestation actuelle soient expédiés à grands frais, nous devons nous comporter un peu en gangsters. Il semble que ce sera efficace. Laugesen2 nous a rejoints, et on dit que Rudi [Renson] est en route.

Je ne crois pas que je puisse aller en Belgique immédiatement après mon retour à Paris, qui va devenir très urgent.

Je serai à Paris nettement avant le 28, mais le 28 je serai malheureusement pris à partir du début de l’après-midi. Ne peux-tu venir le 27 au soir (jeudi) ? ou le 26 ?

Amitiés. À bientôt,

GUY

1. Dernier message radio émis par le sous-marin atomique Thresher (U.S.A.) qui disparut en plongée avec 129 hommes à bord le 10 avril 1963. [Note de l’édition Fayard.]

2. Peter Laugesen, situationniste de la section scandinave. [Note de l’édition Fayard.]

 

ù

 

Guy Debord au Cercle de la Librairie
[lettre restée sans réponse]

[Guy Debord, Correspondance, volume II, septembre 1960 - décembre 1964
Librairie Arthème Fayard, Paris, 14 février 2001]

Paris, le 27 juin 1963

MESSIEURS,

L’imprimerie Bernard me communique votre lettre du 21 juin 1963 par laquelle vous réclamez 300 F d’indemnité pour un cas de non-observation de la loi sur la propriété artistique. Le numéro 8 de notre revue contient en effet, page 42, la photographie d’une inscription sur un mur, « NE TRAVAILLEZ JAMAIS », photographie tirée d’une carte postale de Monsieur Buffier, dont le nom n’est pas mentionné, et à qui nulle autorisation de reproduction n’a été préalablement demandée.

Il se trouve que je suis personnellement l’auteur de cette inscription rue de Seine, dont l’origine pourrait être, s’il le fallait, établie par dix ou quinze témoins directs : vous concevrez que, dans ces conditions, de bonne foi, je n’ai pas cru devoir solliciter une autorisation préalable de reproduction, même si celle-ci devait être évidemment moins onéreuse que la somme que vous fixez maintenant (d’après le barème établi en avril 1962 par les Syndicats de presse, pour les périodiques tirant à moins de 10 000 exemplaires, la reproduction photographique inférieure à la demi-page se paie 20 F).

Je ne saurais trop approuver votre défense de la propriété artistique, trop souvent bafouée. Je voudrais vous faire remarquer à ce propos que la photo publiée dans Internationale Situationniste est recadrée de manière à ne plus reproduire que la partie de la carte postale de Monsieur Buffier qui concerne le document proprement dit (l’inscription elle-même), ceci en excluant rigoureusement les caractéristiques qui confèrent à cette carte postale l’empreinte artistique appartenant en propre à Monsieur Buffier. À savoir le cadrage qu’il a choisi, et d’autre part le titre qu’il a donné à ce sujet, les cartes postales de cette série comprenant toutes, dans la partie inférieure gauche de l’image, une inscription intégrée qui en commente le sens (dans ce cas : « Les conseils superflus »). Quant au troisième élément qu’il est convenu de faire entrer en compte pour mesurer la responsabilité artistique d’une photographie, je veux dire le choix du sujet, il paraît que sur ce point je peux prétendre à une propriété créative qui balance et sans doute éclipse le mérite du goût artistique de Monsieur Buffier, limité en cette circonstance à un simple choix reproductif.

Pour aller au fond de cette question de propriété artistique, laissez-moi vous assurer que je ne prétends nullement revendiquer une part des recettes de la vente de cette carte postale, ou des indemnités que pourrait rapporter sa reproduction sans autorisation préalable, ici ou là. Mais il y a un autre aspect, à mon sens plus important. L’inscription en cause a été faite autrefois, et sans équivoque est présentée maintenant par le mouvement d’avant-garde situationniste (cf. la légende de cette illustration, page 42 de notre revue), comme un signe sérieux du climat artistique d’une époque, et comme un moment dans le développement des théories de ce mouvement artistique, théories qui prétendent à quelque sérieux. Or, Monsieur Buffier, par son interprétation personnelle de cette inscription, laquelle justement ne figure aucunement dans Internationale Situationniste n° 8, la répand sous une forme humoristique. Le titre de Monsieur Buffier est en effet « Les conseils superflus ». Attendu qu’il est notoire que la grande majorité des gens travaille ; et que ledit travail est imposé à la quasi-totalité de ces travailleurs, en dépit de leurs plus vives répulsions, par une écrasante contrainte, le slogan NE TRAVAILLEZ JAMAIS ne peut en aucun cas être considéré comme un « conseil superflu » ; ce terme de Monsieur Buffier impliquant qu’une telle prise de position est déjà suivie sans autre forme de procès par tout le monde, et donc jetant le plus ironique discrédit sur mon inscription, et par voie de conséquence ma pensée et celle du mouvement situationniste dont j’ai l’honneur de diriger actuellement la revue en langue française.

Au cas donc où cette question ne pourrait être réglée comme vous le dites, à l’amiable, il me semble que, contraint de faire la preuve que l’original de cette inscription doit m’être attribué, je serais fondé à exiger qu’on retire de la vente les cartes postales qui en présentent l’interprétation fallacieusement humoristique de Monsieur Buffier, à tout le moins jusqu’à ce qu’il y fasse imprimer en surplus une mention reconnaissant les intentions sérieuses du premier auteur.

Quant au règlement à l’amiable, que je préfère, il me semble que ses modalités dépendent d’abord de la position qu’adoptera Monsieur Buffier quand il aura pris connaissance de ce supplément d’information, que je vous prie de bien vouloir lui transmettre, sur nos droits et devoirs réciproques dans cette affaire.

Je vous prie de croire, Messieurs, à mes sentiments distingués.

GUY DEBORD

 

ù

 

Guy Debord à Ivan Chtcheglov

[Guy Debord, Correspondance, volume II, septembre 1960 - décembre 1964
Librairie Arthème Fayard, Paris, 14 février 2001]

9 août [19]63

CHER IVAN,

Oui, avec ta préface, le ton est retrouvé. C’est ta voix. Comme elle était toujours, dans le rapport (ou le programme) sur la vie. Ce qui nous a retenus de la vie. « Elle est belle, elle est facile. »

Certainement, nous ferons savoir, autant qu’il faudra, que nous nous sommes retrouvés ! On va beaucoup nous revoir ; non seulement à cette Contrescarpe, qui n’est que ta dernière étape en liberté1 — celle où cette dérive a été momentanément engluée, d’où on pourra repartir — mais, j’espère, aussi à d’autres endroits que nous avons trouvés autrefois… Et à tant qui sont encore à découvrir, etc.

Voici, retrouvés dans une note d’époque — dont l’écriture était fortement tremblée — quelques cocktails que nous avons nommés et bus vers le début de 1954 :

le Déséquilibré : 2 rhums, 1 Ricard.

Il existe aussi (plutôt même) sous la forme du Double-déséquilibré.

La Première communion : 1 Raphaël, 1 kirsch (pour petites filles).

Pour exclus ou crypto-troubles comme Conord — un ou deux inventés justement à l’usage de celui-là :

la Douce exclusion : 1 café + 1 Raphaël,

et le Dernier espoir : 1 munich, 1 Suze.

D’autre part, nous appréciions nous-mêmes :

le Trafic d’influence : 1 Phœnix, 1 mascara, 1 Raphaël,

et la Parfaite délinquance : 3 rhums, 1 Raphaël, 1 Pernod, 1 chartreuse, 1 kirsch, 1 vin blanc.

Et oui, l’humour n’a pas manqué. L’aventure… Voilà pourquoi aujourd’hui nous sommes si intelligents.

Double-Wagon2 mourra de tristesse (de toute façon, il consacrera peut-être trente ans de « survie » à ce genre d’agonie) en constatant que tu resteras dehors, et avec nous. C’est-à-dire inattaquable pour ses prochaines manœuvres dans le moment même où il aura le plus envie d’attaquer. Envie, c’est le mot ! Au pôle dit de la maladie, comme au pôle dit de la liberté (aucun n’est si simple) résidait la même qualité que lui ne peut en aucun cas atteindre. Mais arrangeons-nous pour tenir ferme dans le second.

Continue d’écrire, même péniblement : on recollera les morceaux. J’essaie de mon côté, ces temps-ci, d’en faire le plus possible dans le même genre d’activité rédactionnelle.

À bientôt, pour le dixième anniversaire de la dérive,

GUY

— Correspondance entre GUY DEBORD & IVAN CHTCHEGLOV

1. C’est au café des Cinq Billards qu’Ivan Chtcheglov fut saisi pour être interné. [Note de l’édition Fayard.]

2. Sobriquet de Gaëtan Langlais qui lui venait de certaines pratiques douanières. [Note de l’édition Fayard.]

 

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Guy Debord à Nicole Beaurain

[Guy Debord, Correspondance, volume II, septembre 1960 - décembre 1964
Librairie Arthème Fayard, Paris, 14 février 2001]

[Automne 1963]

CHÈRE NICOLE1,

Denise [Cheype]2 n’est pas perdue, on la voit souvent. (Adresse très provisoire : […])

Elle étudie maintenant le chinois et l’albanais. Oui. Sans que nous en tirions schématiquement une tendance politique.

D’ailleurs ce choix est un effet de l’éloquence de René-la-Chine3 justement ennemi public n° 1 de la propédeutique.

On est contents de savoir que Strasbourg tient ses promesses. Avec la dialectique, tout s’arrange.

J’ignore tout de cette infamie de Baden-Baden. Ce ne peut être qu’une sorte de livre ancien. Mais, évidemment, sans mon consentement.

On espère donc que tu apparaîtras bientôt [peut-être].

Nos amitiés à tous les révolutionnaires de Strasbourg.

GUY

1. Nicole Beaurain, qu’épousera plus tard Henri Lefebvre. [Note de l’édition Fayard.]

2. Denise Cheype, une amie commune. [Note de l’édition Fayard.]

3. René Viénet, alors étudiant en chinois. [Note de l’édition Fayard.]

 

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Guy Debord à Ivan Chtcheglov

[Guy Debord, Correspondance, volume II, septembre 1960 - décembre 1964
Librairie Arthème Fayard, Paris, 14 février 2001]

25 novembre [19]63

POUR IVAN1,

Qui n’a pas seulement « sa page » dans cette histoire (à suivre) ; mais qui y est partout chez lui.

— les retrouverions-nous jamais comme cet été-là, avec cet éclat —

— la boisson et le diable ont expédié les autres —

— cet étrange voyageur ÉTAIT DONC SUFFISAMMENT FAMILIARISÉ AVEC LE POISON.

Son ami,

GUY

— Correspondance entre GUY DEBORD & IVAN CHTCHEGLOV

1. Lettre dédidace, de toute évidence, à Mémoires de Guy Debord. [Note de l’édition Fayard.]

 

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Guy Debord à Nicole Beaurain

[Guy Debord, Correspondance, volume II, septembre 1960 - décembre 1964
Librairie Arthème Fayard, Paris, 14 février 2001]

29 novembre [19]63

CHÈRE NICOLE,

Nous n’avons reçu aucune lettre de Moles. Comme notre adresse était changée depuis longtemps, ce choix affiché de l’ancienne a tout du prétexte.

Le plus probable, c’est qu’il aime mieux ne faire usage que des doubles — peut-être pour éviter de se faire tirer les oreilles ? — sans avoir jamais posté l’original.

Ce genre de franchise n’est pas rare chez ce genre de penseurs.

Amicalement,

GUY

 

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Guy Debord à Eugène Bogaert

[Guy Debord, Correspondance, volume II, septembre 1960 - décembre 1964
Librairie Arthème Fayard, Paris, 14 février 2001]

Paris, le 17 décembre 1963

CHER MONSIEUR,

Suite à votre récente communication téléphonique, je vous confirme que nous sommes décidés à imprimer prochainement chez vous le numéro suivant de notre revue1.

Le retard actuel découle de la nécessité où nous sommes d’attendre la rentrée de quelques ressources, pour ces futurs frais comme pour la somme que nous devons encore finir de vous régler préalablement. La longue réticence de mes débiteurs ne saurait raisonnablement se prolonger. J’ajoute que ce désagrément a été bien compensé par la longanimité du créancier que vous êtes.

Veuillez croire, cher Monsieur, à l’expression de mes meilleurs sentiments,

GUY DEBORD

1. I.S. n° 9 qui paraîtra en août 1964. [Note de l’édition Fayard.]

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