DEBORDIANA

CORRESPONDANCE
1964

 

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Asger Jorn à Guy Debord
(extrait, dans sa graphie originelle)

[Guy Debord, Correspondance, volume II, septembre 1960 - décembre 1964
Librairie Arthème Fayard, Paris, 14 février 2001]

7 janvier 1964

[…]

Apres avoir parlé une demi-heure avec Kotany je le considerait un faux jeton, et tout ce qui suivait ne faisait que de confirmer cette attitude. Il t’a pris presque quatre années pour arriver au mème conclusion a la base bin sur d’une experience raisonnée. Mon jugement etait intuitive, mais quand mème basèe sur une longue experience. Le première fois que j’ai eu a faire avec le genre etait entre les escapées de l’Allemagne nazie en 1933. J’ai eu a faire avec eux mème dans la resistance pendant la guerre. C’est le type qui cache son propre impuissance avec des jolie paroles. Tu sait que je te considère comme la tète pensante et critique le plus forte qui est sortie apres la guerre, et c’est cela ma peine, que ce que j’avait dit a l’epoque du scisme entre le tendence nordique et le tendence latine du mouvement situationiste : J’ai toute confience dans tes jugements positionelles, sur le question de l’attitude a prendre, mais justement cette précision a toutes epreuves t’empéche de juger sur le mouvement des choses, de juger la coherence entre actions et attitude. ce qui fait que il y a une serie de gens, qui t’ont trompé en faisant semblant de rallier les attitudes ls plus purs et intrangigeantes cependant leur mains affairées etait occupées tout a fait ailleurs.

Tu sais bien que c’est cette suite continue qui m’a dégouté de toutes initiatives d’avant-garde. On vieillie avec ces experiences. J’ai toujours dit que la vogue de la peinture n’etait que passagère. Ce qui se fait dans cette domaine sont des projets pour le lendemain. A la place de combattre le epanuissement de ces arts a leur epoque sensationelle mon intention etait toujours de essayer de tirer les conscequences qui vont suivre en dehors de cette domaine au moment ou cette epoque ait decanté et etablir des reserves par cette fermentation meme pour les projets qui leur depasse et realise dans des autres domaines. Je suis persuadé que le future va voir l’activité du mouvement situationniste comme l’etablissement d’un tel fondement a lequelle on doit se tenir en etant situationnist ou non.

[…]

 

ù

 

Guy Debord à Asger Jorn

[Guy Debord, Correspondance, volume II, septembre 1960 - décembre 1964
Librairie Arthème Fayard, Paris, 14 février 2001]

Lundi 13 janvier [19]64

CHER ASGER,

Michèle [Bernstein] m’a raconté ta visite inattendue de mercredi soir, et j’ai ta lettre du 7 janvier.

Il y a dans cette lettre certaines choses qui sont bien agréables pour moi. Je t’en remercie. Et aussi d’autres points que je comprends mal.

Nous sommes bien d’accord sur le jugement d’Attila Kotányi. Mais il me semble que tu m’attribues là une trop longue naïveté.

Je crois que tu oublies que j’avais déjà convenu, dans une conversation avec toi, il y a deux ans, que Kotányi était au fond incapable de travailler créativement. Depuis, il n’avait eu à peu près aucune importance dans l’I.S. (ce qui confirmait bien ce jugement). Seulement, pour l’exclure, il fallait attendre qu’il ait « fait quelque chose », afin que cette rupture soit bien comprise d’autres camarades, et dans tout le secteur intellectuel qui se réfère à l’I.S., secteur qui a beaucoup grandi depuis un an (et jusqu’au Japon, où nous sommes traduits). Tu sais que je tiens ce style de rupture comme la meilleure arme des situationnistes, et donc je ne peux l’employer arbitrairement. Toutes nos armes devaient être employées avec sérieux. Parce que je suis aussi fermement que toi opposé à ce que l’on nous refasse le coup des « artistes maudits ». J’essaierai d’empêcher cela, par tous les moyens. Cependant, si au départ il n’y a souvent le choix qu’entre une allure d’artistes maudits ou la compromission spectaculaire, je préfère la parenté dangereuse avec les « maudits ».

En résumé Kotányi, étant nul, avait tout pour faire un nashiste. Malheureusement, il était juste assez malin pour penser qu’il y avait plus de possibilités avec l’I.S. (même si plusieurs aspects l’en effrayaient). Il essayait à n’importe quel prix d’y rester. Cette grande prudence de sa part a rendu lent le processus de la rupture, dans son cas.

Je n’admets toujours pas que la « scission » avec les nashistes soit foncièrement une opposition « esprit latin » et « esprit nordique ». Je n’ai aucune raison (ne serait-ce qu’à cause de tout ce que j’ai connu de toi) de mépriser ainsi l’esprit nordique ! Pour moi, c’est une scission entre d’une part ceux qui étaient occupés des règles d’un nouveau jeu (ce qui n’est pas tellement latin, parce que l’ordre latin me paraît plutôt conservateur) et d’autre part des arrivistes et des commerçants, même pas habiles.

Je pense que cela est déjà confirmé « pour l’histoire » après moins de deux ans, par la suite de l’I.S. (le cas de Kotányi excepté), et de l’autre côté par l’étonnante impuissance aussi bien créative que théorique, de toutes les variétés nashistes qui ont été naturellement contraintes de former des équipes avec des gens déjà usés et minables — et ainsi n’ont même pas pu conserver une équipe, ni tirer rien de ces passages de revenants. Il suffit de voir la pensée nordique du Situationist Times récupérer le catholique curé Simondo !

Ainsi, je crois que tu devrais tenir compte que mes analyses positionnelles ont été aussi des jugements sur les mouvements futurs de ces positions ; et que le temps passé a confirmé ces jugements. Au contraire, l’I.S. s’est très bien renforcée de gens nouveaux et solides. Corollairement, l’extension de la haine passionnelle qui nous entoure contraste avec les petites complicités amusées que les nashistes ont trouvées partout.

Je pense qu’avec la parution du n° 9 d’I.S., que nous ferons dans deux mois à peu près1, tout le monde comprendra l’importance de ce que nous avons fait depuis un an (et je ne crois pas que les très belles illustrations de labyrinthes puissent représenter plus que la riche diffusion de documents sur un seul court paragraphe de la revue I.S.).

Aussi dans le livre que je prépare actuellement j’espère qu’on verra, plus nettement que dans nos ouvrages précédents, que l’I.S. a travaillé au centre des problèmes que se pose la société moderne. Alors je crois que l’on admettra que quelques buts généraux de l’I.S. sont bien tracés dans le concret, comme tu demandes.

Il doit paraître maintenant évident pour nous tous que la rupture avec les arrivistes et commerçants entraînait presque immédiatement une grande diminution de l’aide pratique — déjà mince — que pouvait rencontrer l’I.S. Cependant je pense que cette rupture a été très favorable à ceux qui possèdent réellement quelque chose de la pensée situationniste ; et finalement utile même sur le plan pratique, où la réduction temporaire des moyens peut s’accompagner de l’établissement de ces moyens ailleurs, sur une base plus saine : je veux dire à l’abri de ces pressions des détenteurs ou amateurs d’argent, qui avaient commencé déjà avec l’incident Van de Loo.

En revanche, les arrivistes n’ont gagné à cette rupture — déclenchée par eux — rien d’autre que la liberté de faire des conneries sous leur propre responsabilité ; et la liberté de faire voir à tous, sans masque, leur néant artistique et intellectuel. Ils ont usé de cette liberté au maximum ! Tu comprends que je triomphe, tout en leur renvoyant Kotányi avec plaisir…

D’autre part, après ta très longue absence de l’année 1963, ta lettre ne me permet pas de comprendre avec certitude quelle est maintenant ta position personnelle.

Je te rencontrerai volontiers pour tous les éclaircissements réciproques souhaitables. Ceci à la seule condition, naturellement, que ce soit encore dans cet esprit où nous avons dialogué en 1956, et toujours depuis.

Pour cela, il me paraît que la condition préalable serait une rencontre de toi et moi seulement. Je serai chez Lipp jeudi à 11 h 30, pour le cas où la discussion te conviendrait dans ces conditions.

Amicalement,

GUY

1. Le numéro 9 d’Internationale situationniste paraîtra en août 1964.

 

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Asger Jorn à Harry Guggenheim
Télégramme, en anglais

[Guy Debord, Correspondance, volume II, septembre 1960 - décembre 1964
Librairie Arthème Fayard, Paris, 14 février 2001]

15 janvier 1964

GO TO HELL WITH YOUR MONEY BASTARD — STOP — REFUSE PRICE1STOP — NEVER ASKED FOR IT — STOP — AGAINST ALL DECENCY MIX ARTIST AGAINST HIS WILL IN YOUR PUBLICITY — STOP — I WANT PUBLIC CONFIRMATION NOT TO HAVE PARTICIPATED IN YOUR RIDICULOUS GAME.

1. [Il s’agit du] Guggenheim International Award décerné [à Asger Jorn] pour son tableau Dead Drunk Danes, réalisé en 1960. [Note de l’édition Fayard.]

 

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Guy Debord à Michèle Mochot-Bréhat

[Guy Debord, Correspondance, volume II, septembre 1960 - décembre 1964
Librairie Arthème Fayard, Paris, 14 février 2001]

Lundi 8 juin [19]64

NOUS AUSSI, on t’aime. On finira par ne laisser aucun doute sur cette question.

Tu nous manques. Et toujours plus, il me semble. C’est dire. On t’attend. On espère que les tableaux seront vendus vite, et nombreux. Sinon, on ira te chercher. Mais on est retenus ici encore quelques semaines, je le crains.

Je bois de nouveau, et plutôt d’une façon extravagante, mais il faut dire que les trois semaines de cure m’avaient très bien remis en état de recommencer. En revanche, c’est Michèle [Bernstein] qui s’est arrêtée depuis quelque temps, à cause de la multiplication alarmante de ces moments de conduite vraiment incohérente dont nous avions eu quelques exemples, un peu déprimants, dans notre dernière soirée avec elle. Mais évidemment, ivre ou sobre, elle t’aime aussi.

À très bientôt,

GUY

P.-S. : J’ai dû garder la photo1 avec l’oreille parce que, retouchée, c’était vraiment laid. Je t’aime vraiment.

1. Qui paraîtra dans Contre le cinéma en août 1964. [Note de l’édition Fayard.]

 

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Guy Debord à Ivan Chtcheglov

[Guy Debord, Correspondance, volume II, septembre 1960 - décembre 1964
Librairie Arthème Fayard, Paris, 14 février 2001]

2 septembre [19]64

CHER IVAN,

Je crois que tous ces gens qui préfèrent des lettres personnelles à la revue le font faute de savoir s’élever à la généralité dans les mêmes problèmes. Ainsi ils ne voient pas que c’est la même position, la même chose, mais plus utilisable pour plus de gens. Bien sûr, s’il s’agit de dire que « nous sommes tous mieux que cela » (que toute écriture), c’est évident. C’est une de nos thèses de base. Mais une correspondance épistolaire, même avec un ami, même quand on se comprend, me semble plus loin de l’importance du vécu que peuvent l’être des textes plus profondément calculés. C’est encore moins satisfaisant.

J’aurais aimé avoir ton propre avis (plutôt que celui de l’entourage) sur la « structure » du numéro 9. En comparant, non à un idéal évidemment, mais tout simplement au numéro 8, les amis, ou des gens intelligemment proches de nous, qui se sont déjà exprimés là-dessus, trouvent un grand progrès : dans la clarté et la cohésion de la présentation, cette fois. Qu’en penses-tu ?

En tout cas, comme on le dit dans ce numéro, notre préoccupation principale, bien avant le numéro 10, c’est de finir et publier plusieurs livres1. À ce stade, nous en avons absolument besoin.

Je n’ai malheureusement pas (pour le moment) d’exemplaires de Contre le cinéma à t’envoyer. Je ne suis pas « l’éditeur », j’ai seulement fait une « supervision technique ». Mais j’en aurai d’autres, plus tard.

Naturellement on trouve — difficilement mais toujours — des producteurs ou autres sources de finances. C’est ce qui emmerde le plus tous ces gens qui voudraient nous voir mourir de faim ; et puis se consolent que cela n’arrive pas en jurant que nous sommes très riches (sinon, ce devrait être arrivé depuis dix ans, n’est-ce pas ?).

Mais je ne partage pas le mépris — bien psychanalytique — de Kamouh2 pour ceux qui ne se font pas payer cash. Je crois que le monde de l’argent est intégralement une connerie. Je n’y reconnaîtrai jamais plus de valeur que dans la matraque d’un flic, même si incontestablement elle a une efficacité quand il s’agit d’assommer. En fait je n’en suis jamais « de ma poche », parce que malheureusement je n’ai pas de poche. Mais si j’avais été riche je n’aurais rien trouvé de mieux pour me ruiner que financer nos entreprises, et aider plus largement nos amis, qui le méritent bien.

Triste conclusion de tout cela : je suis absolument désargenté pour le moment. C’est l’inconvénient (fréquent) du fait de vivre à crédit. La plupart des rentrées d’argent sont légèrement inférieures aux dettes. Je veux dire aux dettes vraiment pressantes. Le mois dernier, nous avons vécu quelque temps dans la cour de la Grâce-de-Dieu, qui du reste est charmante, Michèle Redotté3, Denise [Cheype] (celle qui était aussi à Chailles4) et moi, dans une misère qui rappelait beaucoup les années du quartier. En réalité, c’était nettement moins grave. Mais nombre de jours les achats de vin et cigarettes simplement posaient de dramatiques problèmes.

J’ai transmis ta lettre à Michèle Redotté. Je pense qu’elle en était contente ; parce que, de la sécheresse de la lettre précédente, elle était sans doute un peu peinée.

Amitiés,

GUY

— Correspondance entre GUY DEBORD & IVAN CHTCHEGLOV

1. Guy Debord, La Société du Spectacle ; Rudi Renson, L’architecture et le détournement (jamais paru) ; Raoul Vaneigem, Traité de savoir-vivre à l’usage des jeunes générations.

2. Kamouh, psychanalyste. [Note de l’édition Fayard.]

3. Amie d’Ivan Chtcheglov. [Note de l’édition Fayard.]

4. En visite avec Guy Debord. [Note de l’édition Fayard.]

 

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Guy Debord à Alexander Trocchi

[Guy Debord, Correspondance, volume II, septembre 1960 - décembre 1964
Librairie Arthème Fayard, Paris, 14 février 2001]

Paris, le 12 octobre 1964

CHER ALEX,

Merci pour l’envoi de Moving Times1. Nous allons essayer de lire cette revue aussi exactement que possible.

Nous comprenons parfaitement comment le développement actuel de cette entreprise impose de ne pas nous citer (l’organisation situationniste) trop directement.

L’attitude de rupture très nette envers le milieu intellectuel et ses problèmes courants, comme on sait que nous l’avons adoptée sur le continent, serait certainement gênante à bien des égards dans le projet Moving Times, et pour ceux qui peuvent le soutenir.

Réciproquement, l’I.S. pourrait se trouver gênée si certains aspects ou collaborateurs de ce projet étaient placés en comparaison avec ses autres déclarations.

Nous sommes donc bien d’accord pour considérer que tu dois avancer dans cette voie en toute liberté par rapport à nous.

Nous espérons cependant que cette «démission» de l’I.S. officielle ne t’empêchera pas de coordonner pour le mieux la suite de ton action avec ce que nous pouvons faire nous-mêmes.

Toujours amicalement,

GUY

P.-S. : Comme tu devines, notre article2 dans le supplément littéraire du Times, de septembre, a été mal traduit par la rédaction, sur deux ou trois points assez importants.

— Correspondance entre GUY DEBORD & ALEXANDER TROCCHI

1. The Moving Times (titre emprunté à William Burroughs), magazine-poster édité par Trocchi dans le cadre du projet « sigma » : « Maintenant et à l’avenir notre centre sera n’importe où, notre circonférence nulle part […] à l’affût des autres. » [Note de l’édition Fayard.]

2. Article de Michèle Bemstein paru dans le Times Literary Supplement du 3 septembre 1964. [Note de l’édition Fayard.]

 

ù

 

Guy Debord à Eugène Bogaert

[Guy Debord, Correspondance, volume II, septembre 1960 - décembre 1964
Librairie Arthème Fayard, Paris, 14 février 2001]

Paris, le 14 octobre 1964

CHER MONSIEUR,

Je suis malheureusement encore hors d’état de vous transmettre dans l’immédiat ce que nous vous devons1. Mais soyez sûr que j’y veille. J’ai reçu les meilleures assurances de mes propres débiteurs — et de l’Institut scandinave de vandalisme comparé. Dans un court délai nous allons certainement pouvoir régler cet arriéré, et par suite entreprendre quelques autres travaux.

Bien à vous,

DEBORD

1. Pour l’impression de Contre le cinéma. [Note de l’édition Fayard.]

 

ù

 

Guy Debord à Raoul Vaneigem

[Guy Debord, Correspondance, volume II, septembre 1960 - décembre 1964
Librairie Arthème Fayard, Paris, 14 février 2001]

Mardi 10 novembre [19]64

CHER RAOUL,

Je ne sais encore à quel moment il vaut mieux fixer mon prochain passage ? Ici, après ton départ, et celui de Jan [Strijbosch], l’atmosphère est devenue quelque peu bizarre. Nous avions rendez-vous avec Rudi [Renson] le lendemain après-midi dans un café : il n’est venu qu’après une heure et demie de retard, un peu après que nous ayons enfin quitté le lieu. Il a téléphoné le jour d’après qu’il allait partir incontinent, mais encore deux jours plus tard, à en croire un coup de téléphone de Dominique1, il était encore là. C’était de plus en plus obscur, et même si le début de cette assemblée n’avait pas trop ébloui dans la communication d’avant-garde, cela paraissait toujours davantage jeu de piste.

Depuis, on me dit que Dominique téléphone encore pour qu’on lui révèle à quel moment je serai en Belgique (moment que j’ignore moi-même), et ceci « pour qu’elle en prévienne les autres » (??) ; et qu’elle n’y soit pas en même temps que moi (?). D’autant plus étrange que je n’ai jamais laissé entendre que j’irai cette fois à Anvers ; mais seulement à Bruxelles.

Dis-moi donc quand cela s’arrange au mieux de ton côté. Amitiés,

GUY

1. Compagne de Jan Strijbosch. [Note de l’édition Fayard.]

 

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Guy Debord à René Viénet

[Guy Debord, Correspondance, volume II, septembre 1960 - décembre 1964
Librairie Arthème Fayard, Paris, 14 février 2001]

Mardi 17 novembre [19]64

CHER RENÉ,

Michèle [Bernstein] te remercie de ta première lettre (de la fin octobre) qu’elle a reçue cinq ou six jours après seulement. Le monde n’est plus si vaste, comme dirait Kostas [Papaioannou]1, qui s’y connaît.

Comme ladite lettre annonçait une autre, plus longue, et contenant certainement des impressions et conclusions plus méditées sur tes récentes aventures 2, j’attendais cette lettre pour te répondre ; mais comme je continue de l’attendre, je t’écris ce mot pour te le rappeler.

Ici tout va bien pour le moment. Les œufs commencent à nous manquer : au point de vue qualitatif je veux dire3.

Bien amicalement,

GUY

1. Kostas Papaioannou, philosophe, spécialiste de Hegel et de Marx, auteur notamment de L’Idéologie froide et Les Marxistes. [Note de l’édition Fayard.]

2. [René Viénet était] parti en Chine avec une bourse d’études. [Note de l’édition Fayard.]

3. « Œufs dialectiques » : préparation culinaire de René Viénet qui consistait à cuire séparément les blancs et les jaunes avant de les servir rassemblés. [Note de l’édition Fayard.]

 

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Guy Debord à Alexander Trocchi

[Guy Debord, Correspondance, volume II, septembre 1960 - décembre 1964
Librairie Arthème Fayard, Paris, 14 février 2001]

1er décembre [19]64

MON CHER ALEX,

Après ta réponse du « Guy Fawkes Day1 », je veux préciser aussi simplement que possible ma précédente lettre.

1) Je ne retire rien à l’amitié personnelle entre nous.

2) Je ne dis pas que l’opération « sigma » est contradictoire au projet situationniste en général ; et je n’ai même pas refusé d’envisager une collaboration (si elle peut être utile), soit personnellement, soit à plusieurs.

3) Je pense — et je vois — que la référence formaliste, « officielle », à une discipline de l’I[nternationale] S[ituationniste] (au « Conseil central ») n’entre pas dans tes projets actuels. Et je ne crois pas davantage moi-même qu’elle serait une bonne chose dans l’affaire « sigma ». Et inversement l’I.S. ne peut paraître responsable de « sigma ».

Cependant si, contre toutes les apparences, tu voulais cette référence, alors je n’aurais aucun droit de parler de ta « démission officielle ». Autrement dit : tu n’es pas « démissionné » ! S’il y avait divergences d’intention là-dessus entre toi et moi, elle ne pourrait qu’être exposée à tous mes amis situationnistes. À tous (qui ne te connaissaient pas personnellement), je t’ai toujours présenté et garanti comme notre ami, partageant nos bases fondamentales. Je n’ai rien dit d’autre maintenant. Et c’est seulement avec quelques amis que nous avons discuté du sens tactique de « sigma », et de l’attitude la moins contraignante que nous pouvions tous vouloir.

Pour l’ensemble du mouvement situationniste nous voulons réduire au strict minimum le jeu de la discipline formelle parce que maintenant nous avons assez avancé dans les vrais problèmes pour nous autoriser cette liberté (remarque que le « Conseil central » n’est plus mentionné dans I.S. n° 9).

4) Bien sûr si nos publications actuelles en Angleterre et en France devaient automatiquement nous engager tous réciproquement, il faudrait une beaucoup plus grande coordination (et échange d’informations) dans la préparation de chaque point : par exemple ta première circulaire sur « sigma » était adressée à Adamov2 qui depuis sept ou huit ans est devenu à Paris un des pires compagnons de route affichés du stalinisme — il serait ici contraire à toutes nos positions connues de nous adresser à Adamov.

Tout de même : bien amicalement,

GUY

— Correspondance entre GUY DEBORD & ALEXANDER TROCCHI

1. Commémoration le 5 novembre de la mort de Guy Fawkes, un des chefs de la conspiration des Poudres, décapité en 1606 sans avoir sous la torture dénoncé ses complices. [Note de l’édition Fayard.]

2. Arthur Adamov, dramaturge. [Note de l’édition Fayard.]

 

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