DEBORDIANA

CORRESPONDANCE
1977

 

ù

 

Jaime Semprun à Guy Debord

[Éditions Champ Libre, Correspondance. Volume I
Éditions Champ Libre, Paris, octobre 1978]

Paris, le 14 janvier 1977

CAMARADE,

Je te sais gré de m’avoir répondu aussi précisément : je pense assurément le mériter, mais tu aurais été en droit de décider du contraire, après une protestation aussi mal à propos. Pour ne pas rester trop ton débiteur en fait de bons procédés, c’est-à-dire de netteté, je vais essayer maintenant de ramener à ses justes proportions ce qu’est pour moi cette affaire éditoriale, que j’avais inconsidérément gonflée de supputations erronées ; ceci, non pas bien sûr pour tenter de te faire revenir sur ton jugement (à propos de ce livre, de moi, ou de quoi que ce soit d’autre), mais pour formuler cette fois clairement mon propre jugement.

Je reconnais donc avant tout, sans rechigner ni ergoter, m’être laissé emporter, à partir d’un fait réel et avéré — le refus de Lebovici, et que tu ne pouvais l’ignorer — à extrapoler les suppositions les moins fondées. Par là je ne cherche pourtant pas à me défiler devant la publicité que tu pourrais juger bon de donner à cette affaire, comme tu y fais allusion : je devrais alors, comme il est normal, assumer les conséquences de cette faute, ne gardant pour mon propre usage que cette mince satisfaction d’avoir su l’avouer. (Quoique l’explication psychologique subjective n’ait que fort peu d’intérêt, je crois que s’il faut chercher l’origine de cet égarement, elle se trouve plutôt dans mon insatisfaction assez déconcertée devant ton éloignement — que je n’avais pas compris, j’y reviendrai — et non dans quelque dépit d’auteur blessé dans sa vanité littéraire, et cherchant dans une machination des responsables extérieurs à ses « déboires », comme tu dis, sans considérer une seconde les éventuels défauts de son ouvrage. Mes écrits du moins, je crois savoir les « considérer d’un œil désabusé », avec leurs limites et leur utilité ; c’est même pour cette raison que je ne suis pas d’accord avec Lebovici et ses critères d’excellence : il n’y a pas de livre « incriticable », comme il me disait en désirer désormais, et c’est d’ailleurs heureux, car il faudrait penser que la France est soudain revenue au temps du sacré, ou parvenue à celui de la police totalitaire.)

Pour procéder cette fois avec méthode, je distinguerai d’une part le fait lui-même, et de l’autre ce que tu réponds à l’interprétation abusive que j’avais cru devoir en donner. Je commencerai par là. Tes explications détaillées sur tes rapports avec Champ Libre étaient peut-être en de nombreux points superflues, mais j’admets avoir bien mérité de me voir rappeler ce que je sais pertinemment, puisque j’ai pu donner l’impression de l’avoir oublié, ou même de ne l’avoir jamais su. Avant tout je te dirai que je ne fréquente par aucun côté le lamentable milieu d’handicapés où l’on se repaît de rumeurs et de fantasmes sur Champ Libre et le rôle qui y serait le tien : de manière vraiment fortuite et extra-politique (un ami barman), j’avais connu brièvement Pierre Lotrous — et aperçu en sa compagnie Christian Sébastiani — et j’avais dû très vite rompre avec lui précisément au sujet de la misérable réaction de Khayati à la réédition de La Misère, qu’il refusait de considérer dans sa très simple vérité. C’est le seul écho direct que j’aie eu de la hargne envieuse suscitée dans ce milieu par l’activité de Champ Libre, et j’ai pu effectivement vérifier à cette occasion que cela l’identifiait dans une assez large mesure au parti de la vérité, ses ennemis s’identifiant eux-mêmes à celui du mensonge. (Mais quand cette maison d’édition donne à lire avec une réédition de Rizzi un texte où il est parlé sans ambages de « notre parti », ne s’identifie-t-elle pas elle-même outre mesure à ce parti de la vérité ?)

Je me suis donc déjà opposé, et je le ferai chaque fois qu’il le faudra, à tout ce qui veut prétendre ou insinuer que tu aurais pris de quelque manière le contrôle de Champ Libre, pour y exercer un pouvoir politico-littéraire occulte, ou peut-être même seulement pour y empocher de substantiels bénéfices. Je n’ai vraiment pas à m’en faire gloire, mais cela donne un côté encore plus déraisonnable à ma réaction quand je me suis trouvé personnellement concerné. Puisqu’il est vrai que je me suis laissé aller à une sorte de glissement métaphysique dans l’examen du statut « ambigu » de cette maison d’édition, je reprendrai cette fois point par point ton exposé de ce qui est, pour dire chaque fois ma position par rapport à ces faits.

Non seulement je ne fais pas l’offusqué devant la peu contestable réalité marchande de Champ Libre, mais j’aimerais que cette réalité fonctionne mieux, pour donner une plus large audience aux livres qui le méritent. (J’ai de même toujours trouvé hautement humoristique, et significatif de notre époque, que des fonds provenant de l’activité histrionnesque de Belmondo ou de Jorge Semprun connaissent une telle utilisation.) L’hostilité très active que ces éditions rencontrent de la part des falsificateurs, et à laquelle je me flatte d’avoir contribué en les mettant hors d’eux avec le Précis, leur fait sans doute honneur ; mais selon moi cet honneur leur crée en même temps certains devoirs pour le mériter vraiment, devoirs qui sont aussi différents des usages habituels de l’édition que la fonction critique générale que commence à avoir Champ Libre est hors de proportion avec l’importance normalement limitée d’une maison d’édition. (Et d’ailleurs à ce sujet je n’avais pas eu du tout à me plaindre de Lebovici, quand il avait fallu s’occuper de dénoncer la version portugaise maspérisée de La Guerre sociale.) Ces devoirs n’impliquent certainement pas en effet de soutenir les « révolutionnaires contemporains » en bloc et partout où ils sont, comme une espèce de Komintern plus ou moins situationnisé ; mais, vis-à-vis de ces révolutionnaires qui se trouvent être des lecteurs, de ne pas publier n’importe quoi (sans parler des erreurs de jeunesse, on pourrait peut-être dire que l’absurde Lewinter ou le creux Migeot frisent le n’importe quoi), et, vis-à-vis de ces révolutionnaires qui se trouvent être des auteurs, de ne pas leur refuser un texte n’importe comment (dans mon cas, ce fut pire que cela peut être le cas dans l’édition courante, où l’encouragement à améliorer un texte correspond implicitement à l’engagement d’en publier la version définitive). Ce n’est bien sûr que parce que je voyais les choses ainsi que j’ai pu accepter de discuter avec Lebovici, ce que je n’aurais jamais fait avec un éditeur « normal ».

Quand j’ai parlé de tes « mérites historiques », je ne voulais pas dire par là qu’ils appartenaient au passé, comme tu veux le croire. De même je ne reprocherais pas à Lebovici d’être, quand il s’agit de toi, « influençable » ; si j’avais quelque chose à en dire, ce serait qu’il a eu le bon goût de choisir ton influence et tes avis, plutôt que ceux de Guégan ou de Ratgeb (j’aurais d’autant plus mauvaise grâce à m’en plaindre que j’en ai bénéficié quand il fallait publier dans les meilleurs délais La Guerre sociale). Et je pense d’ailleurs, quant à moi, avoir eu cet esprit de tirer parti de ta fréquentation. Je passe sur tes sarcasmes, pour ce qui est de « démoraliser les prolétaires de Barcelone » ou de nuire à la révolution espagnole.

Lebovici existe ; je ne l’ai rencontré que fort peu avant ces deux dernières fois, et pour parler de choses précises, à propos desquelles il s’est montré intelligent et avisé. Il m’a toujours manifesté qu’il était très satisfait de notre collaboration, et moi de même. J’ai refusé de lui donner d’autres formes, comme il me le proposait (recherches et travaux savants), en lui expliquant bien que je n’avais pas de temps pour l’érudition, et espérais ne jamais en avoir ; et que si je pouvais lui donner quelques conseils à titre tout à fait gracieux (sur des textes de l’ancien mouvement ouvrier espagnol), je ne voulais pas y mettre mon grain de sel théorique, sous forme de préface ou « appareil critique ». (J’ai par contre accepté de faire, avec Anne, la traduction d’un livre de Lehning, travail salarié qui n’engage de mes capacités intellectuelles qu’une assez commune connaissance de l’anglais.) Tout cela pour dire que je ne vais pas maintenant le taxer d’aliénation mentale quand il refuse mon dernier livre : nous ne sommes pas d’accord, voilà tout. De la même manière, il trouve le livre de Migeot excellent, et moi pas. (Pour m’en tenir à un détail, mais qui me concerne au premier chef, je trouve un peu fort de voir citées une bêtise trotskiste et une tristesse ultra-gauchiste sur le même pied que La Guerre sociale.) Si j’ai pu parler de caprice, c’est que ce refus me paraît peu judicieux selon les propres termes, non seulement de la « stratégie éditoriale » qui devrait être celle de Champ Libre, mais même de celle que Lebovici semble effectivement adopter (l’explication psychologique de l’éclectisme échaudé se rattrapant par la rigueur décalée va dans ce même sens) ; et aussi parce qu’il a été signifié par un procédé assez déplaisant, quoique certainement pas intentionnellement. J’avais bien précisé au cours de notre discussion, qu’il ne pouvait s’agir pour moi de reprendre entièrement ce travail, mais seulement de développer quelques points peu évidents au lecteur français, particulièrement soumis à la falsification sur ce sujet, et ignorant en conséquence, comme les questions ou les doutes de Lebovici lui-même me le montraient bien. Et de toute façon il pouvait savoir que, comme le dit le proverbe espagnol « no se puede pedir peras al olmo » (on ne saurait demander des poires à l’orme), et que s’il voulait vraiment et uniquement un ouvrage du genre scientifique-exhaustif, c’était peu dans mes capacités, ou dans mes goûts, comme on voudra. Quand je disais que Champ Libre, c’est-à-dire Lebovici, ne peut, choisissant d’éditer certains « auteurs » disons hors du commun, avoir avec eux les rapports communément admis dans l’édition (où l’on ne peut s’étonner de voir refuser un livre comme peu vendable, sans autre explication), cela signifie que l’expression « mauvais pour Champ Libre », employée par Lebovici, n’a pas le simple sens commercial habituel, mais recouvre un contenu qu’il faut bien dire politique, c’est-à-dire lié à une conception de la fonction politique de Champ Libre. Là-dessus rien ne m’éclairera sur ce qui est « mauvais » dans mon texte, pour un éditeur qui dit s’intéresser vivement à la révolution espagnole, qui n’a publié pour l’instant sur le sujet qu’une Histoire du P.o.u.m. politiquement et historiquement douteuse (tout entière écrite du point de vue de la droite mauriniste-catalaniste), et qui se voit maintenant offerte l’occasion de publier un texte qui, dans l’analyse du processus conduisant d’une révolution espagnole à l’autre, est certainement pour l’instant ce qu’on a écrit de mieux sur le sujet. Devrais-je, pour convaincre de mon sérieux, faire plus ample étalage de mes connaissances ou de mes informations ? Je ne le crois pas. Et sans doute Lebovici ne le croit-il pas lui-même, ses raisonnements dans ce sens, effectivement assez nuageux, n’étant probablement dus, puisqu’il n’y avait là nul principe a priori, qu’à sa difficulté à exprimer précisément pourquoi le livre ne lui plaisait pas ; ou plutôt pourquoi il ne lui plaisait pas autant qu’il pensait qu’il aurait dû lui plaire. Mais ce n’était tout de même pas à moi à lui fournir des arguments plus solides. Par ailleurs, outre que je n’avais aucune envie de faire l’article, il est vraiment difficile de discuter avec quelqu’un qui oppose à un texte existant le désir, certes très louable, d’en avoir un tout à fait excellent.

Mais puisque tu exprimes toi-même ton avis personnel sur la question, je vais te dire brièvement ce que j’en pense. Tu peux savoir que je n’ai aucun goût maniaque pour l’écriture, et tu penses bien que si j’ai écrit ce livre, ce n’est pas que je veuille à tout prix livrer annuellement au public mes réflexions sur le problème du jour. Disons que je me suis senti particulièrement qualifié pour traiter cette question de première importance, et en ceci expressément mandaté par les circonstances, car dans le mouvement révolutionnaire qui prend forme en Espagne, ce n’est vraiment pas la théorie qui manque le moins (là-dessus aucun révolutionnaire espagnol ne me démentira). Certes cela ne donne pas immédiatement une force suffisante à l’ouvrage. Et tu as sans doute raison, en faisant la comparaison avec La Guerre sociale, de dire que ne se retrouve pas là le même genre de mérite (c’est-à-dire le fonctionnement très offensif d’un texte développant avec cohérence une thèse centrale originale quoique évidente ; ou plutôt, en ces temps de doutes mensongers répandus partout comme diversion, originale parce qu’évidente). Mais aussi n’était-ce pas ce genre de mérite que j’ambitionnais cette fois. Il s’agissait plutôt pour moi de réunir et de mettre en relation, pour la première fois, des éléments d’analyse déjà formulés de manière partielle (par exemple la réalité sociale du franquisme par Acción Comunista), d’autres, présents dans la théorie critique moderne, mais pratiquement pas utilisés à propos de l’Espagne, et enfin des faits de la subversion contemporaine du prolétariat espagnol, à peu près totalement occultés par le spectacle, et en France encore plus. Chacun de ces éléments ainsi grossièrement distingués trouvant toute sa vérité dans sa relation avec les autres. Bref je pensais, et je continue à penser, que la situation appelait plutôt un livre de ce type, possible à écrire vite, mais fournissant, en les utilisant pour donner la vérité de l’actuelle « démocratisation », les bases théoriques qui font cruellement défaut jusqu’ici en Espagne — et sur l’Espagne (la forme des thèses, que je n’ai pas choisie par quelque esthétisme typographique, correspondait pour moi à cette relative modestie du propos). Un tel projet ne prend tout son sens, c’est évident, que par une édition espagnole (elle verra je crois prochainement le jour) ; mais je pensais que tout cela ne pouvait manquer d’avoir quelque intérêt pour le lecteur français, que l’on ne saurait dire saturé de vérités sur la question. Lebovici en a donc jugé autrement. En tout cas, s’il veut que les livres de ses auteurs soient « en progrès », il faut admettre que pour le coup l’opération a réussi : l’auteur a disparu.

Voilà donc ce que j’ai voulu faire avec ce livre, et la suite des événements dira dans quelle mesure j’ai réussi ou échoué. Par ailleurs, je suis tout à fait d’accord avec toi sur le fait qu’il me faudra continuer à défendre les thèses de La Guerre sociale en sachant dire comment, au stade suivant, la contre-révolution s’est armée.

Sur le chapitre de nos relations personnelles, j’ai évidemment moins que partout ailleurs à t’opposer ou à te contester quoi que ce soit, mais seulement à t’expliquer ma perplexité sur le moment et après (en fait jusqu’à ta dernière lettre). Je comprends que mon opinion, au sortir de chez ces jeunes gens, que j’ai dû exprimer très maladroitement pour te faire cette impression, ait pu évoquer fâcheusement l’extrémisme désincarné des foutriquets qui vont tranchant à tout propos, c’est-à-dire hors de tout propos, de la radicalité de ceux qu’ils rencontrent. Tu dis que ce jugement tranchant ne t’a pas paru mériter le moindre effort pour m’en faire revenir ; pourtant ce que tu aurais pu juger mériter quelque effort, ce sont nos relations elles-mêmes : ton choix de ne pas critiquer ma hâte à me prononcer contre ces gens est sans aucun doute à l’origine de cette dialectique de la pesanteur qui a fait verser nos dialogues dans le morne. Encore une fois je ne veux poser ici nul principe, mais seulement expliquer que, comme cela n’aurait pas été ma méthode en pareil cas (d’ailleurs je n’ai pas tant de gens à voir, et n’ai de goût pour aucune sorte de solitude), je n’ai même pas envisagé que cela pouvait être la tienne ; et, ayant bien senti le « certain ennui » dont tu parles, mais l’ayant plutôt senti comme un certain retrait, je n’ai su à quoi l’attribuer. Sur le moment et surtout juste après — à Paris — j’ai pensé que ce pouvait être simplement d’autres occupations ou préoccupations qui pouvaient très bien te donner envie d’être seul, ou du moins pas avec nous (mais dans ce cas tu me l’aurais sans doute dit), et je me suis seulement reproché de ne pas être revenu à Paris plus tôt. Quand ensuite j’ai vu que ce retrait était définitif, je n’ai du coup plus du tout compris quelle pouvait en être la cause. Anne a été plus perspicace, mais quant à moi je persistais à croire que si cet « incident assez anodin » t’avait déplu à ce point, tu m’en aurais fait part sur le moment. Cela explique, sans le justifier du tout, que j’aie pu battre la campagne à la recherche de quelque mystérieuse raison d’hostilité.

Une dernière remarque au sujet des plaisanteries faciles que tu ne songes pas à faire mais que tu songes néanmoins à évoquer : il est vrai, et je ne m’en suis jamais caché, qu’il m’est arrivé de supporter trop longtemps un certain nombre de crétins sous-intellectuels, et tu en avais même vu un dernier et triste exemplaire avec ce zozo d’Ambrozizi. Pourtant tu ne devrais pas en conclure que je manquerais toujours, comme j’ai pu en donner quelque apparence ce soir-là, de bienveillance envers ceux qui la méritent incontestablement plus. Les « gens comme eux », qui seront, comme tu dis, « la base d’une révolution », en Espagne comme ailleurs, forment en attendant depuis assez longtemps déjà l’essentiel de mes fréquentatations pour que ce soit vraiment instruit par la comparaison, qui seule permet de juger quoi que ce soit, que je pense ne pas avoir été tout à fait délirant en trouvant ces jeunes gens-là assez peu intéressants. Mon erreur a été, vis-à-vis de toi qui les appréciait, d’échaffauder à partir de là je ne sais quelle analyse pseudo-théorique, relevant si je me souviens bien ce qui m’était apparu comme quelques stéréotypes du rôle marginal.

Salud.

JAIME SEMPRUN

P.S. Ce n’est effectivement qu’un mince détail, mais j’ai la quasi-certitude (pour garder quelque précaution scientifique) que le nommé Jean-Pierre George n’est que fonctionnaire dans une maison de la culture de province, comme son frère n’est que l’auteur d’un livre lèche-cul sur Sartre ; et que tes suppositions sur Manchette, comme les miennes sur Franklin, étaient erronées.

 

ù

 

Champ Libre à Jaime Semprun

[Éditions Champ Libre, Correspondance. Volume I
Éditions Champ Libre, Paris, octobre 1978]

Paris, le 16 janvier 1977

MONSIEUR,

Lorsque l’éditeur qui a publié les deux premiers livres d’un auteur (le premier de 96 pages, le second de 126), lui fait remarquer que le manuscrit qu’il lui soumet est trop bref, car le sujet traité mérite un ouvrage quantitativement plus important, le risque de voir le projet refusé — pour qui sait écouter — ne peut être écarté.

Lorsque le même éditeur pour essayer de mieux se faire comprendre, sans toutefois froisser son auteur, ajoute que son sujet principal, en l’occurrence des « thèses pour la révolution espagnole » lui paraît avoir été développé trop sommairement, d’une manière « journalistique », et lui donne comme exemple d’ouvrage exhaustif et scientifique le Véridique Rapport, il paraît évident — pour qui sait écouter — que l’éditeur a les plus grands doutes sur son intérêt à publier ledit manuscrit.

Lorsque le même éditeur insistant plus lourdement, puisqu’on ne l’entend pas, ou qu’on ne veut pas l’entendre, conseille à son auteur une forme plus appropriée à cette « œuvre de combat », c’est-à-dire le renvoie à l’édition militante, genre brochure, et lorsque l’éditeur c’est Champ Libre (vous savez pour l’avoir apprécié avec La Guerre sociale et le Précis combien je suis soucieux de donner à toutes nos publications un rapport rigoureux entre la présentation et la nature de l’ouvrage), il n’y a plus de doutes, l’éditeur ne veut pas publier cet ouvrage.

Cela vous l’avez entendu, mais en relatant dans le désordre et incomplètement l’essentiel des propos tenus lors de notre avant-dernière rencontre, vous donnez assez bien à l’ensemble un côté nuageux, flou et incertain qui ne manque pas de se trouver confirmé par l’analyse fantaisiste, et les conclusions ahurissantes que vous en tirez.

Ce que vous omettez de préciser c’est que tout ce que j’ai pu dire sur votre texte l’a été le 22 octobre 1976 à Champ Libre lors d’un entretien qui a duré largement plus d’une heure ; je n’ai fait que vous confirmer mon refus très brièvement (l’entretien a duré quelques minutes) courant décembre 1976.

Mais le 22 octobre nous n’en sommes pas restés là. J’ai accepté de discuter avec vous ; j’ai relevé les lacunes, les défauts particuliers que je trouvais à ce texte. Vous avez convenu que j’avais en partie raison ; vous m’avez dit que vous rajouteriez un certain nombre de précisions et de développements, et que vous me rapporteriez le tout sous quinzaine, mais en gros avez-vous ajouté « cela ne changera pas la nature de l’ouvrage : écrire court, c’est mon style, mon tempérament » (vous pensiez sans doute à Gracián, et moi j’avais en tête ces apprentis auteurs qui se piquent de maîtriser si bien et leur pensée et leur style qu’il est inutile de noircir des centaines de pages blanches au risque de lasser le lecteur : pour eux un gros livre est forcément trop long, inversement leur livre est court parce qu’il est dense et concis — n’est pas Debord qui veut — et non parce qu’ils ont peu ou rien à dire).

Et là j’ai fait une faute, une très grande faute. J’aurais dû être plus net, vous décourager plus durement encore, mais je n’ai pas cru devoir le faire : vous étiez un auteur Champ Libre, l’ouvrage ne me plaisait pas, vous ne sembliez pas comprendre ce que je m’efforçais avec quelque précaution de vous expliquer.

Eh bien, j’ai eu tort. Car d’un éditeur écouté (vous aviez retravaillé une partie du Précis sur mes indications, et à partir des critiques que je vous avais faites), je suis devenu tout à coup un éditeur de mauvaise foi, capable des pires caprices.

Debord s’est expliqué longuement et irréfutablement sur les stupidités plus ou moins malveillantes colportées dans les poubelles gauchistes au sujet de ses relations avec Champ Libre. Il n’est pas l’auteur du Précis (vous existez bien). Il m’influence sans aucun doute possible, et je m’honore de cela ; mais de là à me réduire à une seule réalité de marchand « capricieux » qui ne serait qu’une signature, voilà un bond audacieux dans le fantasme qui en arrangerait plus d’un, et qui en désespérera beaucoup.

Vous vous êtes dites-vous « joyeusement grillé avec le Précis auprès de tout ce qu’il y a à Paris comme éditeur utilisable », mais vous reconnaissez que cela ne me fait pas obligation de publier tout le temps vos livres. Eh bien ! Disons que cette possibilité que généreusement vous m’offrez de ne pas publier tous vos ouvrages, je l’ai saisie, avant que vous me l’accordiez ; un peu plus tôt sans doute que vous ne l’aviez prévu.

GÉRARD LEBOVICI

 

ù

 

Jaime Semprun à Champ Libre

[Éditions Champ Libre, Correspondance. Volume I
Éditions Champ Libre, Paris, octobre 1978]

Paris, le 19 janvier 1977

MONSIEUR,

Je retiens de votre lettre que vous avez fait une très grande faute en ne me signifiant pas nettement votre refus de mon manuscrit, qui ne vous plaisait pas du tout, mais en discutant longuement dans la perspective de son amélioration. Pour ma part j’ai fait une faute non moins grande en attribuant inconsidérément ce refus, quand il est venu, à une influence extérieure. Je pense qu’il serait préférable d’arrêter là ce désastreux enchaînement, qui déjà vous amène à me classer, selon vos dernières conclusions, parmi ces « apprentis auteurs » qui « ont peu ou rien à dire », et le dissimulent maladroitement derrière une affectation de style bref. (Pour ce qui est de vouloir être Debord, la place n’est pas à prendre, que je sache.) On voit bien que cette pente vers la disproportion des jugements ne mène qu’à des fautes aggravées, car, quand vous dites avoir déjà eu en tête au moment de notre discussion un jugement aussi négatif sur mes capacités, vous ne faites qu’éclairer ainsi d’un jour très peu sympathique votre participation à cette discussion, qui prendrait alors une franche allure de duplicité. De même notre seconde entrevue a-t-elle eu maintenant, selon vous, pour objet de « confirmer » un refus qui n’avait pourtant pas été affirmé du tout au cours de la première : vous m’auriez donc encouragé à retravailler un texte que vous aviez d’ores et déjà fermement décidé de ne pas publier. Voilà une analyse qui, si elle n’est pas fantaisiste, donne une piètre image de vos procédés d’éditeur.

Mais je préfère penser qu’elle est seulement fantaisiste, et comme j’ai eu ma part dans cette malheureuse glissade vers la fantaisie pas drôle, je ne saurais maintenant vous en tenir rigueur. Votre véhémence tardive, par laquelle vous tentez sans doute de compenser votre manque de netteté au moment où elle était nécessaire, ne m’empêchera pas de considérer avec la sérénité qui convient le fond de la question : de même que je n’identifie pas le sort de la révolution espagnole à celui de mon manuscrit, je n’accorde à votre jugement que l’importance qu’il a ; ou plutôt qu’il aurait eu, si vous l’aviez formulé nettement en temps utile.

JAIME SEMPRUN

 

ù

 

Me Kiejman à Guy Debord

[Éditions Champ Libre, Correspondance. Volume I
Éditions Champ Libre, Paris, octobre 1978]

Paris, le 25 mai 1977

CHER MONSIEUR,

Je n’ai pas de nouvelles des Éditions Buchet Chastel auxquelles j’avais d’ailleurs écrit pour leur signaler que votre adresse telle que mentionnée dans l’assignation devait être rectifiée.

Je pense qu’il faudrait leur faire une Sommation leur disant que vous vous présenterez à leurs bureaux un jour déterminé pour prendre livraison du stock de livres et le régler immédiatement. Cela seul, à mon avis, peut les obliger à réagir soit sur le principe, soit sur le prix que je leur avais proposé dans la Sommation.

Êtes-vous d’accord sur cette idée ?

Pouvez-vous me communiquer la date à laquelle vous seriez prêt à vous rendre au siège des Éditions Buchet Chastel ?

Je vous prie de croire, Cher Monsieur, à l’assurance de mes sentiments les meilleurs.

GEORGES KIEJMAN
Avocat à la Cour

 

ù

 

Guy Debord à Me Kiejman

[Éditions Champ Libre, Correspondance. Volume I
Éditions Champ Libre, Paris, octobre 1978]

Le 8 juin 1977

CHER MAÎTRE,

La méthode que vous me proposez pour en finir avec Buchet est sans nul doute la plus directe. Si je me rends moi-même dans la rue de Condé pour sommer la place, et si l’ennemi me refuse l’accès au stock de vieux papier que je prétends lui acheter, c’est très probablement lui qui sera ridicule. Les ressources ne me manqueraient pas pour soutenir cette querelle de chiffonniers, et des plus actuelles : occuper ses bureaux à la tête d’une bande d’énergumènes, faire dresser ma tente dans sa cour, immoler un bonze.

Votre scénario me paraît donc rigoureux et plaisant, mais malheureusement le rôle n’est pas pour moi ; principalement parce que je ne compte pas revenir à Paris avant le mois de décembre.

De sorte que s’il n’était pas possible de recourir présentement à quelque moyen plus impersonnel d’assignation, délégation, procuration, etc., je serais porté à conclure, en dépit de mon goût très vif pour les Éditions Champ Libre, qu’il vaut mieux renoncer à cette persécution de l’abusif Buchet.

Bien à vous.

GUY DEBORD

 

ù

 

Me Kiejman à Champ Libre

[Éditions Champ Libre, Correspondance. Volume I
Éditions Champ Libre, Paris, octobre 1978]

Paris, le 21 juin 1977

MON CHER GÉRARD,

Je te prie de trouver, ci-joint, copies de mon dernier échange de correspondance avec Guy Debord.

Ne penses-tu pas que compte tenu de la position de celui-ci, le plus simple serait que tu fasses racheter ses ouvrages par un grossiste avec la marge la plus importante possible ? Après quoi, Buchet Chastel devrait payer sa part de droits d’auteur à Debord et celui-ci pourrait constater que le stock est épuisé.

Je suis à ta disposition pour en reparler.

Bien à toi.

GEORGES KIEJMAN
Avocat à la Cour

P.J. Deux.

 

ù

 

Champ Libre à Me Kiejman

[Éditions Champ Libre, Correspondance. Volume I
Éditions Champ Libre, Paris, octobre 1978]

Le 8 juin 1977

CHER GEORGES,

Demander à un grossiste de racheter pour notre compte le stock de livres de La Société du Spectacle détenu par Buchet me semble une opération commerciale peu facile à réaliser. Pourquoi ne retiens-tu pas la solution proposée par Guy Debord dans le dernier paragraphe de sa lettre du 8 juin ? Si elle ne présente pas de difficulté juridique au plan de son exécution, elle est la plus simple et la plus efficace pour faire céder cette canaille de Buchet.

Bien à toi.

GÉRARD LEBOVICI

 

ù

 

Me Kiejman à Champ Libre

[Éditions Champ Libre, Correspondance. Volume I
Éditions Champ Libre, Paris, octobre 1978]

Paris, le 28 juin 1977

MON CHER GÉRARD,

On peut bien sûr envisager, mais sans aucune certitude quant au résultat, une demande de désignation d’un administrateur de justice chargé de contrôler l’opération d’achat du stock résiduel et, en tout cas, de se faire donner toutes informations sur lui. Mais le juge des référés risque de nous dire que cela suppose une interprétation du Protocole transactionnel qui avait laissé à Buchet Chastel un certain délai pour écouler son stock.

Il faudrait que tu puisses me démontrer par ta propre expérience que son rythme de vente est beaucoup plus fait que le tien (à quoi il répondra qu’il faut tenir compte de tes propres ventes) et que Debord subit effectivement une gêne au niveau des références dans les publications à tout autre niveau (confusion dans les commandes, etc.). Peux-tu me donner des justificatifs de ce genre ?

Enfin, il est évident que l’opération va être inutilement coûteuse (bien au-delà de ce que coûterait le rachat des stocks par un grossiste).

Si tu veux que nous introduisions ce référé, il faudrait que tu m’adresses une provision de 5 000 F à l’ordre de la C.A.R.P.A. Après quoi, il faut que tu envisages une provision de l’ordre de 2 000 à 3 000 F pour le mandataire de justice éventuellement désigné par le Tribunal.

Bien à toi.

GEORGES KIEJMAN
Avocat à la Cour

 

ù

 

Me Kiejman à Guy Debord

[Éditions Champ Libre, Correspondance. Volume I
Éditions Champ Libre, Paris, octobre 1978]

Paris, le 18 juillet 1977

CHER MONSIEUR,

Vous trouverez ci-joint copie de la lettre que j’adresse au Conseil des Éditions Buchet Chastel.

Cela dit, je pense qu’il ne faudrait pas s’entêter en exigeant dès maintenant d’être payé de vos droits d’auteur ou de voir ceux-ci déduits du prix d’achat des livres.

Si nous voulons vraiment obtenir la récupération de ceux-ci, peut-être faut-il remettre à plus tard ce point contentieux. Qu’en pensez-vous ? J’interroge Gérard Lebovici en lui adressant également copie de ma lettre.

Bien à vous.

GEORGES KIEJMAN
Avocat à la Cour

P.J. Une.

P.S. Vous trouverez ci-joint une circulaire que les Éditions Buchet Chastel me demandent de vous faire parvenir.

 

ù

 

Guy Debord à Me Kiejman

[Éditions Champ Libre, Correspondance. Volume I
Éditions Champ Libre, Paris, octobre 1978]

Le 22 août 1977

MAÎTRE,

Voyant s’allonger la liste de vos impertinences, je pense que peut-être vous craignez que plusieurs d’entre elles n’aient pas été comprises, ce qui vous porterait à renforcer la qualité par l’abondance. Je peux vous rassurer à cet égard : je comprends sans peine vos intentions, comme je crois vous l’avoir fait sentir par ma lettre du 8 juin, quand vous donnez pour la seule solution de la minime affaire Buchet ma participation directe à une tentative de déménagement d’un stock de livres ; et aussi bien lorsque depuis, disposant de deux de mes adresses personnelles et de celle de mon présent éditeur, vous m’écrivez à Artmedia, comme si j’étais un employé de ce Lebovici qui paraît vous obséder.

Si un Berryer s’adressait à moi d’une façon si inconvenante, je m’en consolerais sans doute en attribuant son hostilité aux passions politiques. Mais vous n’êtes que Kiejman, et donc, de même que les motifs de votre hostilité sont forcément plus vulgaires, vos sentiments laissent indifférent tout le monde, sauf sur le plan professionnel ; du moins tant que durent les affaires que l’on vous a confiées.

Et si vous saviez mieux écrire, vous auriez peut-être le talent d’égayer votre correspondance professionnelle, sans pour autant lui faire perdre toute cohérence juridique et toute apparence de bonne foi, en y exhalant ça et là avec esprit vos petites aigreurs contre ceux qui ont plus d’argent que vous, ou plus de culture, ou que sais-je encore ? Mais ce ne sont que réponses à côté du sujet, sophismes lourdauds, paralogismes de porte-parole du gouvernement, insolences de garçon de café. Vos fréquentes prétentions au coup d’éclat dans l’illogisme et l’incompétence ne paraissent même pas sincères, car je ne crois pas que vous possédiez ces deux qualités au-delà du médiocre.

Je suppose que vous n’avez pas poussé l’irréflexion jusqu’à estimer que vous garderiez des clients que vous traitez de la sorte, et dont il aurait été assurément plus digne de refuser d’emblée les causes. Vous serez donc soulagé d’apprendre que la plaisanterie va s’arrêter là. Veuillez transmettre à Lebovici le compte de vos honoraires, et à l’actuel avocat de Champ Libre, qu’il vous désignera, le dossier me concernant.

Avec les salutations qui conviennent.

GUY DEBORD

 

ù

 

Gérard Lebovici à Me Kiejman

[Éditions Champ Libre, Correspondance. Volume I
Éditions Champ Libre, Paris, octobre 1978]

Paris, le 23 août 1977

GEORGES,

Quant à tes activités vis-à-vis de Debord et d’Élisabeth Gruet, je n’ai rien à ajouter à ce qu’ils t’ont écrit ; à mon égard, c’est plus grave, car c’est sur mon conseil qu’ils ont été en rapport avec toi.

Pour le reste, un humoriste aurait pu se distraire agréablement à observer son propre avocat plaider contre lui par Ciliga interposé. En la circonstance, je dois heureusement avouer que je manque totalement de cette qualité traditionnelle de l’esprit britannique pour apprécier joyeusement cette pauvre comédie.

Mieux vaut donc en rester là de nos relations.

GÉRARD LEBOVICI

P.S. Tu peux transmettre le dossier Debord à Thierry Lévy.

 

ù

 

Me Kiejman à Guy Debord

[Éditions Champ Libre, Correspondance. Volume I
Éditions Champ Libre, Paris, octobre 1978]

Paris, le 23 août 1977

MONSIEUR,

C’est bien de l’honneur que d’être le destinataire de vos exercices de style.

Pour faire justice de celui daté du 22 août je vous adresserai simplement photocopie de votre lettre du 8 juin 1977.

Pour le surplus, je vous laisse la responsabilité de suggérer qu’il ait pu me venir à l’esprit que vous étiez l’employé de Lebovici. Je ne le pense pas. Je suis sûr qu’il aurait le courage de m’insulter lui-même.

Vous m’invitez à lui adresser mon compte d’honoraires. Il ne m’en est pas dû. Vous me demandez d’adresser votre dossier à l’avocat qu’il me désignera. Ce sera fait.

GEORGES KIEJMAN

 

ù

 

Autographe de Me Kiejman, avocat à la Cour,
adressé à Gérard Lebovici, vers la fin août 1977

[Éditions Champ Libre, Correspondance. Volume I
Éditions Champ Libre, Paris, octobre 1978]

 

ù

 

Notice encartée dans l’édition Castellote de La Société du Spectacle

[Éditions Champ Libre, Correspondance. Volume I
Éditions Champ Libre, Paris, octobre 1978]

Traduction

CETTE ÉDITION de La Société du Spectacle est la seule approuvée par l’auteur en langue castillane, ayant renié expressément toute autre édition, en particulier celle des Éditions de La Flor, puisqu’elle comporte de graves falsifications par rapport à la version originale française et à la pensée de l’auteur.

 

ù

 

Champ Libre à Editorial Castellote
(télégramme)

[Éditions Champ Libre, Correspondance. Volume I
Éditions Champ Libre, Paris, octobre 1978]

Le 30 novembre 1977

SUITE À nos multiples demandes nous recevons neuf exemplaires de votre édition de La Société du Spectacle. Stop. Nous relevons avec effarement la note mensongère que vous y avez jointe et rédigée comme suit : « Esta edicion de La Sociedad del Espectaculo es la única autorizada por el autor en lengua castellana, habiendo desautorizado expresamente cualquier otra edicion, especialmente la realizada por Editorial La Flor, ya que la misma contiene graves desviaciones respecto a la version francesa original y al pensamiento del autor ». Stop. Il est faux que l’auteur approuve votre traduction qui comporte presque autant de contresens que celle des Éditions La Flor. Stop. Votre procédé de gangster légaliste vous disqualifie à tout jamais. Stop. Vous n’aurez donc plus en aucun cas les droits d’un livre de Champ Libre. Stop.

ÉDITIONS CHAMP LIBRE

*

Traduction espagnole par Maldeojo

DESPUÉS de múltiples reclamaciones recibimos nuevos ejemplares de vuestra edición de La Sociedad del Espectáculo. Stop. Copiamos con turbación la nota mentirosa que has incluido y que dice como sigue: “Esta edición de La Sociedad del Espectáculo es la única autorizada por el autor en lengua castellana, habiendo desautorizado expresamente cualquier otra edición, especialmente la realizada por Editorial la Flor, ya que la misma contiene graves desviaciones respecto a la versión francesa original y al pensamiento del autor” [en castellano en el original]. Stop. Falta que el autor apruebe vuestra traducción que comporta casi tantos contrasentidos como la de Ediciones de la Flor. Stop. Vuestro proceder de gángster legalista os descalifica para siempre. Stop. No tendréis en ningún caso los derechos de ningún libro de Champ Libre. Stop. EDICIONES CHAMP LIBRE.

 

ù

 

Editorial Castellote à Champ Libre

[Éditions Champ Libre, Correspondance. Volume I
Éditions Champ Libre, Paris, octobre 1978]

Traduction

Madrid, le 5 décembre 1977

MESSIEURS,

Nous avons été très surpris de recevoir votre télégramme faisant apparaître un manque d’honnêteté professionnelle de votre part que nous rencontrons pour la première fois depuis le début de notre longue activité professionnelle. Votre télégramme, très commode pour que vous n’endossiez aucune responsabilité dans une situation équivoque dont vous êtes les seuls — et très gravement — responsables, est rempli d’inexactitudes et de fausses vérités dont vous semblez être coutumiers. C’est pourquoi nous croyons opportun de vous apporter les précisions suivantes :

1. Lorsque nous vous avons demandé et avons signé avec vous un contrat pour l’édition du livre La Société du Spectacle, vous n’avez jamais mentionné, comme cela aurait été votre devoir de le faire, l’existence d’une autre édition (en espagnol) de La Société du Spectacle. Si nous avions eu connaissance de cet état de choses, nous ne nous serions jamais lancés dans l’édition de cet ouvrage.

2. Mis au courant par le traducteur auquel nous avions confié le livre — la personne qui a traité directement avec vous — de l’esprit pointilleux de l’auteur, nous avons décidé que la traduction serait réalisée uniquement par ce traducteur qui, d’après ses propres dires, comptait obtenir l’approbation de M. Debord et la vôtre, lors de la vérification de la traduction.
Une fois la traduction vérifiée et payée, ainsi que les droits que vous aviez exigés, nous avons eu la désagréable surprise de découvrir qu’il existait déjà une édition espagnole de cette œuvre. Questionné par nous, notre traducteur, Fernando Casado, nous fit savoir que cette autre édition était une édition non autorisée par l’auteur et que vous assuriez être les uniques dépositaires légaux des droits.

3. Étant donné que l’édition réalisée par les Éditions La Flor, que vous n’avez jamais mentionnée en aucune occasion, était en train d’être distribuée rapidement dans toutes les librairies d’Espagne, nous avons décidé d’accélérer les démarches pour mettre le livre en vente, ayant confiance en l’aptitude du traducteur.

4. À notre grande surprise, quand le livre a été mis en vente, nous nous sommes trouvés, sans en avoir été informés au préalable, dans une situation désagréable du fait que les distributeurs en Espagne des Éditions La Flor répandaient auprès des libraires le bruit que la seule édition ayant les droits était la leur et que la nôtre était une édition pirate, étant donné que Champ Libre ne pouvait céder des droits qu’il ne possédait pas. Face à cette situation et en raison du grave préjudice économique que nous causait cette affaire, nous avons consulté de toute urgence notre traducteur qui nous a assuré que l’on pouvait faire établir que c’était bien notre édition qui était la seule autorisée. Arrivés à ce stade, nous devons reconnaître que ce n’est pas de gangstérisme, comme vous nous en accusez avec un sens si faible de la responsabilité, mais d’ingénuité dont nous avons fait preuve, sûrs que nous étions que vous agissiez de bonne foi. Au lieu d’agir ingénument, nous aurions dû, compte tenu de votre silence initial suspect concernant les Éditions La Flor, vous demander le remboursement de l’avance de 2 000 francs que vous aviez reçue, ainsi qu’une indemnisation pour les frais de traduction réalisée en pure perte.

De toute façon et comme preuve de notre bonne foi, en espérant que vous agirez de même, nous vous proposons la solution suivante :

Premièrement : étant donné que notre édition n’a eu qu’une diffusion restreinte dans les librairies, se trouvant en compétition avec l’édition déjà existante, nous vous proposons de vous envoyer la quasi-totalité de cette édition au prix de revient afin que les inquiétudes intellectuelles de M. Debord soient entièrement apaisées par la destruction des exemplaires que vous avez condamnés.

Deuxièmement : outre le paiement par vous du coût de cette édition, nous suggérons que vous nous remboursiez par la même occasion les 2 000 francs.

Nous croyons que ce serait la solution la plus honnête pour les deux parties car nous nous refusons à envisager que vous ayez l’intention de céder les droits pour la troisième fois, pour qu’au lieu de deux maisons d’édition lésées, il y en ait trois.

Dans l’attente de vos nouvelles, toujours surprenantes, veuillez agréer les salutations de

JESUS CASTELLOTE

P.S. : Nous n’ignorons pas, bien entendu, qu’une interprétation stricte et rigoureuse de votre contrat (article 5) nous fait obligation, mais dans des conditions normales, et non en présence d’une autre édition espagnole sur le marché, de vous envoyer la traduction avant de la remettre à la composition, mais nous ne pensions néanmoins pas, qu’étant donné les circonstances décrites plus haut et que vous ne pouvez à juste titre ignorer, ainsi que l’aptitude de la personne choisie pour effectuer la traduction, avec votre accord verbal, vous alliez invoquer cette clause du contrat de façon si peu réaliste et si peu courtoise.

*

Texte original

MUY SEÑORES NUESTROS:

Con gran sorpresa recibimos su telegrama, en el que se pone de manifiesto una falta de honestidad profesional por parte de Vdes. con la que por primera vez, en nuestra larga tarea profesional, hemos tropezado. Su telegrama muy cómodo para que Vdes. queden libres de toda responsabilidad en una situación equívoca de la que los únicos responsables, y muy gravemente responsables, son Vdes., está lleno de inexactitudes y de falsas verdades a medias, de las que Vdes. parecen hacer una costumbre. Por allo creemos oportuno hacerles las siguientes puntualizaciones:

1. Cuando solicitamos y contratamos con Vdes. la edición de La Sociedad del Espectáculo, Vdes. jamás mencionaron, como era su grave obligación hacerlo, la existencia de otra edición de (en castellano) La Sociedad del Espectáculo. Si hubieramos conocido esta situación, no nos habríamos lanzado a editar la obra.

2. Puestos al corriente por nuestro traductor del libro, y persona que ha tratado con Vdes. directamente, del espíritu quisquilloso del autor, decidimos que la traducción fuese realizada únicamente por dicho traductor que según sus propias manifestaciones, contaba en principio con el visto bueno del Sr. Debord y de Vdes. para verificar la traducción en condiciones que merecieran su beneplácito.
Verificada la traducción, pagada la misma, así-como los derechos por Vdes. exigidos, nos encontramos con la desagradable sorpresa de que ya existía una traducción en castellano de la obra. Puestos al habla con nuestro traductor Fernando Casado, éste nos manifestó que dicha edición, era una edición no autorizada por el autor, y que Vdes. aseguraban ser los únicos depositarios válidos de los derechos.

3. Ante el hecho de que la edición realizada por Editorial la Flor, y no mencionada por Vdes. en ninguna ocasión, se estaba difundiendo rápidamente por todas las librerías de España, decidimos acelerar los trámites para poner a la venta el libro, confiando en todo caso en las características idóneas de la persona elegida para realizar la traducción.

4. Con gran sorpresa nuestra cuando el libro se puso a la venta, sin ninguna nota previa, nos encontramos con la desagradable situación de que los distribuidores en España de la Flor, divulgaban por las librerías, que la única edición que contaba con verdaderos derechos, era la suya, y que la nuestra era una edición pirata, pues Champ Libre no podía ceder unos derechos que no poseía. Ante esta situación, consultamos nuevamente, y con toda urgencia, dado los graves perjuicios económicos que este asunto nos estaba produciendo, con nuestro traductor y repetimos persona relacionada con Vdes., quien nos aseguró que se podía hacer constar que nuestra edición era la autorizada. Llegados a este punto, hemos de reconocer que pecamos no de gangsterismo como, con tan escaso sentido de la responsabilidad, Vdes. nos acusan, sino que pecamos de ingenuidad, confiando en que Vdes. actuaban de buena fe. Si no hubiésemos actuado ingenuamente lo procedente ante el sospechoso silencio inicial por parte de Vdes. en cuanto a la edición de la Flor, hubiese sido requerirles a Vdes. para la devolución del anticipo de 2.000 francos por Vdes. recibidos, así-como una indemnización por los gastos de traducción, estérilmente realizada.

De todas formas, y como prueba de nuestra buena fe a la que esperamos que Vdes. correspondan con la suya, les proponemos la siguiente solución:

Primero: Dado que nuestra edición ha podido ser escasamente difundida en las librerías, por entrar en competencia con la edición ya existente, les proponemos enviarles a Vdes. la práctica totalidad de dicha edición a precio de costo, para que las inquietudes intelectuales del Sr. Debord, queden plenamente satisfechas mediante la destrucción de los ejemplares por Vdes. condenados.

Segundo: A-parte del pago por parte de Vdes. del costo de dicha edición, les sugerimos la oportuna conveniencia de devolvernos los 2.000 francos.
Creemos que esta sería la solución más honesta para ambas partes, pues no queremos sospechar que entre en sus propósitos ceder por tercera vez los derechos, para que en vez de dos, sean tres las editoriales perjudicadas.

En espera de sus siempre sorprendentes noticias, reciban un saludo de:

JESÚS CASTELLOTE

P.D.: Por supuesto que no ignoramos que una interpretación legalista y rigorista de su contrato (artículo 5), nos obligaba, pero en condiciones normales, y no con otra edición castellana a la venta a enviarles la traducción antes de componerla, sin-embargo, pensamos, que dadas las circunstancias descritas más arriba, y que Vdes. en buena ley no pueden ignorar, unida a la idoneidad de la persona elegida para la traducción con el consentimiento verbal de Vdes., dicha cláusula del contrato, no iba a ser invocada por Vdes. de forma tan poco realista y tan desconsiderada.

 

ù

CORRESPONDANCEMÉTAGRAPHIESREVUESFILMOGRAPHIEÉPIGRAPHIECONFÉRENCES INDUSTRIELLESPLANS PSYCHOGÉOGRAPHIQUES DE PARISCHANSONSKRIEGSPIELMISCELLANÉESRÉPONSES AUX POLICES


BIBLIOGRAPHIE 1952-19571957-19721972-1994