DEBORDIANA

CORRESPONDANCE
1988

 

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Guy Debord à Jean-François Martos

Jean-François Martos, Correspondance avec Guy Debord
Le fin mot de l’Histoire, Paris, août 1998

4 janvier 1988

CHER JEFF,

Merci beaucoup, mais le moment tombe très mal. J’ai à achever un travail urgent ; et très vaste, hélas (la révision du Clausewitz étant maintenant finie).

Amitiés

GUY

 

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Jean-François Martos à Guy Debord

Jean-François Martos, Correspondance avec Guy Debord
Le fin mot de l’Histoire, Paris, août 1998

Paris, le 22 janvier 1988

CHER GUY,

J’ai fait l’objet, avec Étiennette et Sylvain, d’une violente agression devant ma porte lundi dernier (une première attaque, au début du mois, avait échoué) ; y participaient Christian Sébastiani, Guy Bernelas et un troisième nuisant non identifié.

Annoncé par la lettre de Mezioud [Ouldamer], il paraît clair maintenant que ceci constitue la réponse de l’EdN ; je ne crois donc pas utile d’en attendre une autre.

De même qu’il est tout aussi clair que ce milieu n’entretient plus aucun rapport avec la vérité, mais défend seulement des intérêts particuliers, et de la façon la plus crapuleuse qui soit.

Je propose que l’on se voie rapidement pour aviser de la situation.

Amitiés à tous deux,

JEFF

 

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  Guy Debord à Jean-Pierre Baudet

Jean-François Martos, Correspondance avec Guy Debord
Le fin mot de l’Histoire, Paris, août 1998

16 février [19]88

CHER JEAN-PIERRE,

Je me déclare pleinement satisfait de toutes les corrections que tu acceptes : j’en retire l’impression réconfortante, comme on dit, que cette longue relecture aura finalement servi pour éloigner de cette excellente traduction quelques imperfections, très marginales, mais que l’envie contemporaine eût peut-être d’autant plus soulignées.

En même temps, je suis bien d’accord sur tous les cas, sauf un, où tu montres qu’il vaut mieux maintenir ta version. Par exemple :

i) si le texte original n’est pas plus clair, j’ai eu sans doute bien tort de m’en étonner. L’auteur nous a assez nettement averti, trop même je crois, que presque tout n’était qu’une ébauche à peine esquissée. C’est merveille, au fond, que je trouve si clair le reste.

r) oui, il vaut mieux supprimer la note.

m’) ma correction était mauvaise, voulant imaginer que ce passage était une sorte de manifeste pour l’hégémonie de la logique dialectique, alors que ta traduction, plus fidèle, rend exactement ce que l’auteur a voulu dire.

Par contre (z), je continue à trouver « arrondi » extrêmement insolite et incompréhensible en français pour désigner d’un seul qualificatif l’assiette d’un pays, (alors que l’on peut certes dire que le roi de Prusse a voulu arrondir ses possessions, en les reliant entre elles). Je comprends maintenant, par ton commentaire, de quoi il est question (la France ou l’Espagne répondant à cette définition, non l’Italie ou la Grèce). Je crois qu’il faudra ajouter une relative pour le faire comprendre au lecteur aussi.

J’ai vu Jeff [Martos], et ensuite Floriana [Lebovici]. D’un entretien qu’elle a eu avec Sébastiani, on peut retirer l’impression que ces arguments spectaculaires en resteront là. Et de plus l’information que le n° 12 de l’EdN sera largement consacré à réfuter cette si dérisoire critique ! Ainsi, ils auront répondu de trois manières : par la plaisanterie (Bartos et Maudet), par les coups, et par des arguments qui devront prétendre être plus solides. La cohabitation de tout cela est sûrement signe de désarroi. En plus Fargette a pris leur défense dans le style le plus moderne du pouvoir médiatique : « Voyez que c’est une calomnie infâme, la preuve, c’est qu’il me suffit de vous la faire connaître intégralement. »

Et moi, je travaille sur un sujet qui est vraiment plus déprimant que Tchernobyl. J’espère que ce sera fini dans pas trop longtemps. Amitiés.

GUY

   

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Jean-Pierre Baudet à Guy Debord

Jean-François Martos, Correspondance avec Guy Debord
Le fin mot de l’Histoire, Paris, août 1998

Paris, le 18 février 1988

CHER GUY,

Merci de ta lettre du 16, qui m’a permis de remettre sans plus tarder l’intégralité du manuscrit à Floriana [Lebovici].

Pour la remarque « z », j’ai inséré la relative suivante : « de forme compacte, où l’on est toujours à égale distance de tout ».

Ta lettre est arrivée exactement en même temps que le n° 12 de l’EdN. J’avoue volontiers avoir été, après une première et très rapide lecture hier soir, éberlué par l’habileté de cette — disons — élaboration. Deux choses avant tout me sautent aux yeux :

— ce que nous avons ainsi obtenu, mais faut-il s’en réjouir, c’est que l’EdN formule d’une façon plus explicite que jamais en quoi elle place son originalité, et par quel curieux refus de contraintes, assimilées par elle à une fausse image, plus ou moins névrotique, de la cohérence critique, elle pense avoir littéralement dépassé les préoccupations et les embûches de toutes les organisations du passé ; cette post-modernité, parée des qualités d’humanité, d’ouverture et de simplicité, est à présent connue, puisque reconnue ; et il lui est aussi désormais loisible de s’émerveiller de son propre sens de la manœuvre, et de la pérennité que garantit un si modeste pragmatisme ;

— nous avons rencontré un rapport de forces entièrement à notre désavantage. Le confort et la bonne conscience que procurent à tout le milieu pro-situ l’adhésion formelle ou la participation éloignée à l’EdN ; les rancœurs arriérées contre Jeff [Martos], prudemment laissées dans l’ombre (dans ce n° 12, on est loin des balourdises d’Ouldamerde) ; un ton tranchant dans notre brochure, qui n’est plus à la mode, et qui, de surcroît, serait plus accepté venant de toi que de Jeff ou de moi ; notre témérité, ne disposant que d’une base empirique fort limitée ; tout cela réuni n’a pu que plus encore souder ce milieu, et isoler les deux malheureux infirmes craniochoses. Quand Ouldamerde qualifie Jeff de « dernier prositu conséquent », cela exprime on ne peut plus clairement que toute la brochette des prositus se refait une virginité sur notre dos.

Nous n’avons eu, si l’on met à part une lettre approbatrice de Marc Dachy, et une attitude honnête de Francis Pagnon (qui a du coup conduit Ouldamerde à rompre avec lui), aucun témoignage de soutien, en-dehors de quelques amis personnels (et encore). Qui aurait encore à présent la volonté et la patience d’aller chercher, derrière cette belle image rassurante d’une guérison convivialiste, ce qu’ont réellement dit, et dans quelles circonstances, les deux caricatures d’extrêmisme anti-intellectualiste et immédiatiste ?

Une époque perçue par certains comme une Restauration est vécue par d’autres comme une ère de progrès : le progrès étant à peu près exclusivement constitué par la simple existence de ces derniers, et par leurs foisonnantes autofélicitations. Devant la précarité et l’importance d’un tel hiatus interprétatif, les empêcheurs de se féliciter en rond apparaissent comme de petites nuisances passagères, qu’il faut simplement empêcher de remonter trop haut, vers la source. Pour ce faire, la fin redevient simple moyen : il n’est que d’opposer à ces trouble-fête, sur le ton de la tranquillité et de l’assurance imperturbables, le déni du hiatus originel, autrement dit l’affirmation du progrès qu’on prétend être, exempt de toute contradiction (là, en revanche, Ouldamerde était plus franc que Semprun, puisqu’il en concédait), et que prouvent la supériorité numérique, l’amitié décennale, la continuité dans la publication. Ce qui est, est rationnel ; ce qui ne se constitue pas est irrationnel : vae victis.

Autant dire que je ne crois guère au désarroi que démontrerait l’aspect polymorphe de leurs réactions : la castagne ne servait qu’à pouvoir s’en targuer, et renforçait donc le n° 12 (les gens « tombent sous la main » à leur propre domicile : il y a là une audacieuse combinaison entre le hasard et la nécessité !) ; quant au faux, sa potacherie visait à ramasser les suffrages des rieurs que le laïus sur l’assembléisme pouvait lasser. Ainsi pense-t-on n’avoir oublié personne : qu’on préfère l’action directe, la théorie post-moderne, ou les rigolades de bistro, on est servi — de quoi se plaindrait-on, devant un si généreux menu ?

Je ne sais pas si Semprun était victime de son propre jésuitisme, ou l’affectait seulement : mais nous savons maintenant que tout cela se déroule devant des gens qui en sont dupes très massivement. Comment pourrions-nous faire sentir la mauvaise foi des uns à d’autres, qui — d’une certaine façon — n’en seraient même pas capables ?

Où sont, au juste, les Monts Nanchang ?

Amicalement,

JEAN-PIERRE

 

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Jean-François Martos à Guy Debord

Jean-François Martos, Correspondance avec Guy Debord
Le fin mot de l’Histoire, Paris, août 1998

Paris, le 25-2-88

CHER GUY,

L’EdN 12, comme non-réponse d’ensemble à ce qui n’est que « calomnies », se borne à l’occupation de la Sorbonne, et à l’aspect organisationnel de son activité nuisante. Il lui suffit de décrire la première comme n’ayant pas été (mais qui l’a jamais prétendu ?) celle du Comité Enragés-I.S. de [19]68 — tout en déformant opportunément, et dans le moindre détail, ce qu’elle appelle une « ébauche de tentative d’occupation », à l’instar de cette autre « apparence d’émeute » —, pour occulter l’essentiel : qu’il nous a importé de refuser les détractions de Fargette, puis leur approbation par l’EdN, sur ce qu’« il vaut mieux tenter ce que l’on aperçoit comme possibilité, plutôt que de ne rien faire ». Encore une forêt qui essaie de cacher l’arbre.

Quant à l’aspect organisationnel — leur « activité commune » sur « terrain limité » —, on voit maintenant plus clairement à quoi sert, par exemple, l’abandon de la critique ad hominem (en ce sens, l’Histoire de l’I.S. constituera aussi une réponse en soi à pareille imposture). Ce qui est en passe de se présenter comme un « dépassement » de l’I.S. est déjà constitué, encore plus dangereusement que L’Antenne, comme une vaste entreprise de désinformation à des fins séparées (entreprise digne du spectacle actuel, et l’on rejoint par là, j’imagine, tes Commentaires sur…). Devenue la meilleure alliée de ce qu’elle prétend combattre, cette coagulation du milieu pro-situ — qu’elle s’effondre d’elle-même me semble peu probable à court terme — pourrait bien être, comme piège objectif venant freiner un nouveau départ de la critique radicale, le cheval de Troie qui dévoiera les luttes futures.

Certes, tu me diras que nous n’en sommes pas encore là. Et qu’évidemment, la dissolution de l’I.S. ne pouvait empêcher indéfiniment ce qu’elle refusait pour elle-même (devenir la dernière forme du spectacle révolutionnaire) de se reconstituer à l’extérieur, en pire. Mais force est de constater que notre brochure, puis la mystification relativement habile du n° 12, ne suffiront pas à démolir le phénomène.

Quand cette meute de néo-staliniens, après avoir tendu une embuscade devant ma porte, se prend maintenant pour André Breton et me compare à Ehrenbourg, il ne s’agit pas seulement là d’une inversion fortuite : ce mensonge, à lui seul, résume toute leur entreprise. Le communiqué du 11 février du Comité Irradiés (…) semble annoncer d’autres « arguments spectaculaires » similaires. Ainsi, il y a une semaine de cela, à quatre heures du matin, un coup de téléphone, émanant soi-disant de la police, essayait de m’attirer, faute de mieux (un parking, par exemple ?), à l’extérieur de l’appartement, sous prétexte de voisins qui auraient fait du bruit dans l’immeuble, d’un « cambriolage » en cours…

Le Rapport* (…) à propos de F. Goldbronn et B. Larguèze nous apprend que Goldbronn avait déjà critiqué le style stalinien des Irradiés-Nuisants, comme leur rapport à la pratique. Mais comme nous sommes en désaccord total avec Goldbronn sur tout le reste, nous refusons tout amalgame avec lui. Alors que la Résolution du 20 décembre laisse entendre que les ennemis de nos ennemis sont forcément nos amis.

Mais j’imagine que l’on aura l’occasion de reparler de tout cela. J’espère que vous vous portez bien.

Amitiés,

JEFF

* « interne »

 

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Guy Debord à Jean-François Martos

Jean-François Martos, Correspondance avec Guy Debord
Le fin mot de l’Histoire, Paris, août 1998

29 février [19]88

CHER JEFF,

C’est peut-être Fargette qui dirige maintenant la stratégie de l’EdN ? Je suis étonné d’un retour aussi net à l’esprit militant, comme la déclaration du Comité I.D.T.L.P.U.V. : tout cela ramène bien avant [19]68. En te comparant à Ehrenbourg, on établit que Sébastiani vaut Breton, et que l’on n’a pas à répondre à de sottes calomnies d’un bureaucrate russe (« activité pédérastique ». Et l’EdN le prouve facilement en n’y répondant pas.

Dans ce n°, on cite l’I.S. plus que dans les 11 précédents ; ce qui ne suffira sûrement pas à sauver leur prestige.

Voulez-vous venir chez nous (avec Sylvain), vendredi à 20 heures ?

Mon ouvrage avance bien, mais n’est pas encore achevé, hélas !

Amitiés

GUY

P.S. Il ne faut jamais répondre au téléphone à 4 heures du matin ; cela donne à quantité de gens au moins la satisfaction de te réveiller !

 

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Guy Debord à Jean-François Martos

Jean-François Martos, Correspondance avec Guy Debord
Le fin mot de l’Histoire, Paris, août 1998

14 juin [19]88

CHER JEFF,

Je viens de lire, en deux jours, ton manuscrit1 ; et avec beaucoup d’intérêt (quoique je connaisse déjà l’histoire).

J’ai relevé 16 détails : ou bien des fautes certaines (9), ou bien de légères améliorations possibles de l’exposé (7).

Page 65. Vers la citation n° 87, il y a des guillemets qui manquent ; ou au contraire qui seraient en trop ? Enfin, corrige pour équilibrer.

Page 67. Ta citation « 94 » est en fait de Michèle Bernstein, Éloge de Pinot-Gallizio, Torino, 1958 (reprise dans I.S. 2).

Page 70. Ajouter, dans la note « 103 » : « Cet article détruisit alors à l’instant le pseudo-Cobra, parce que Jorn était vivant. Mais, vingt ans plus tard, l’abusif peintre Alechinsky revint à la charge pour sa propre réclame ; et parvint enfin à faire répéter dans tous les journaux son titre de “fondateur” de Cobra ; alors qu’il n’y avait paru, le dernier, qu’au jour de la dissolution ! »

Page 73. Il est plus juste de dire la « prééminence » de la bande-son (plutôt que « l’autonomie ») (ou alors « relative autonomie » ?).

Page 84. Il vaut mieux dire (sur le Stedelijk Museum) « risquaient d’aboutir » : car, justement, rien n’a commencé.

Page 92. Il vaut mieux dire « les signataires », et non « les 121 ». En effet, il y eut finalement plus de 200 signataires. Je n’ai pas figuré dans les 121 premiers, qui ne m’ont transmis le texte qu’après le commencement de la répression qu’il suscita. (Alors, je l’ai signé par solidarité avec ces gens, que je considérais tout de même, presque tous, comme des canailles).

Page 95. « La révolution est à réinventer, voilà tout. » Rétablis ainsi la véritable citation.

Page 127. Note « 231 ». Peut-être serait-il bon de préciser que le pseudonyme de « Cardan » (et antérieurement « Chaulieu ») dissimulait à cette époque l’identité du futur sociologue et psychanalyste Cornelius Castoriadis, qui devait devenir le transparent ridicule que tout le monde a pu voir depuis ?

Page 140. C’est l’Assemblée Générale de l’Union Nationale des É[tudiants] de F[rance] qui fut tenue à Paris, le 14 janvier 1967 (non une assemblée générale « parisienne »).

Page 144. Dire plutôt : « délégua aussitôt ses pouvoirs à Martin. »

Page 162, dernier paragraphe. Peut-être faut-il ajouter à « tirages atteignant 200 000 exemplaires » — « grâce à l’activité révolutionnaire des grévistes des imprimeries occupées » ?

Page 163. Grave erreur de date ! La dissolution du C.M.D.O. n’a pu se produire « le 30 juin » 1968. Viénet (Enragés et Situs…) donne la date du 15 juin (cf. sa page 178).

Page 166. Dire plutôt : « Debord avait affirmé ». (C’est un flash back dans ton récit).

Page 167. Non : il n’y eut jamais aucune « réunion commune » entre l’I.S. et I.C.O. ; ni même aucun contact.

Page 176, dernier paragraphe. Dire plus exactement : « avait dû rédiger une part toujours plus étendue dans les deux derniers numéros de l’I.S. »

Page 185. Peut-être pour la dernière phrase, plutôt que « Le jeu continue » (qui pourrait sonner un peu trop gai et désinvolte), vaudrait-il mieux dire : « Les hostilités continuent » ?

À part cela, je crois que tout est juste. Il n’y a rien à ajouter. Pour le dire avec tes formules latines : Nibil obstat. Ergo : imprimatur.

À bientôt

GUY

1. JEAN-FRANÇOIS MARTOS, Histoire de l’Internationale situationniste. Éditions Gérard Lebovici, Paris, 1989.

 

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Guy Debord à Jean-François Martos

Jean-François Martos, Correspondance avec Guy Debord
Le fin mot de l’Histoire, Paris, août 1998

27 juillet [19]88

CHER JEFF,

Je te remercie de tes envois. Ces « Voyéristes » — ils ne sont que ça, en effet, et c’est tout dire — n’ont malheureusement plus ce vif éclat de la démence, qu’ils avaient pour une fois atteint dans Échecs situationnistes. Il leur faut pour cela vingt ans de réflexion. Ou bien plutôt leur texte avait dû être écrit surtout par un autre, qu’ils auront probablement perdu depuis. C’est redevenu banal et niais.

Le Monde*, qui me rajeunit tout de même un peu par une photo qui date de 1959 (à Munich), me donne surtout l’impression d’être furieux parce qu’il ne peut éviter de croire toutes les vérités fâcheuses que j’ai évoquées. Et implicitement il en confirme tout. Je me réjouis fort d’en avoir dit moins que je n’en savais. Sinon, quel usage n’auraient-ils pu en tirer, eux qui « me font confiance » à un point si excessif, quoique très secrètement ? La malveillance du Monde veut se consoler en lançant la rumeur de mes « divers pseudonymes, pas tous identifiés ». Il la « prouve » tout de suite en signalant qu’ici j’ai adopté « pour une fois (mon) nom comme pseudonyme ». Je souligne. Je l’avais écrit dans Considérations, et bien avant : je n’ai jamais rien publié sous un pseudonyme. À part quelques textes anonymes ou collectifs, tout a été signé Debord. C’est seulement pour certaines lettres ou rendez-vous, et débats internes, là où il y avait de bonnes raisons de ne laisser que des traces discrètes, que j’ai employé un très petit nombre de pseudonymes, clairement connus des camarades concernés, dans chaque période ; et un pseudonyme « périmé » n’a plus jamais été repris. Comme il est bien possible que tu deviennes l’historien qui « fait autorité » sur ces questions, et comme les menteurs persisteront sûrement dans des inventions imprévisibles, je te fais maintenant une liste rapide de la totalité de ces pseudonymes : c’est-à-dire que tout autre serait ultérieurement inventé, et de même toute « publication » que l’on évoquerait vaguement, ou que l’on exhumerait d’on ne sait où, et que l’on prétendrait signée de l’un d’eux, serait un faux manifeste.

Gondi — en France, à partir de 1965. (Colin) Decayeux — à partir de la fin de 1968, en France, puis en Italie (c’est un ami de Villon). (Guido) Cavalcanti, à partir de 1972, en Italie (c’est l’ami de la jeunesse de Dante). Glaucos — à partir de 1974, au Portugal. (Juan) Pacheco — en Espagne, à partir de 1980 (c’est un ennemi de Manrique).

Je t’envoie l’article d’une revue, que j’ai eu par la rue Saint-Sulpice, où l’on m’a dit que c’est la revue de (Gallimard) Pierre Nora. C’est paru juste avant mes Commentaires. Tu remarqueras combien le raisonnement est intéressant : à force de rejeter sans appel les « impasses de la pseudo-construction du socialisme », on prouverait simplement que la révolution est impossible. Mais qu’est-il donc arrivé chaque fois que d’autres ont accepté une de ces pseudo-constructions, ou plusieurs, ou toutes ? En somme, ces gens du Débat aimeraient bien faire croire qu’on devrait accepter la ridicule obligation de leur démontrer que la révolution est possible ! Amusante erreur : c’est eux plutôt qui auraient bien à démontrer que l’avenir de leur société est possible. Ils préfèrent ne plus s’y risquer.

Les Encyclopédistes existent-ils encore ? On dirait que leur découragement actuel vient pour achever de convaincre leur public qu’ils ne possédaient aucune défense immunitaire contre la critique. C’est un SIDA de l’avant-gardisme.

À bientôt.

GUY

* du 22 juillet 1988. (Note de l’Éditeur.)

 

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