DEBORDIANA

Ion
Centre de création
Numéro 1
Directeur : Marc-Gilbert GUILLAUMIN — avril 1952

 

* * *

REVUE TRIMESTRIELLE
Copyright by Marc-Gilbert GUILLAUMIN
12, rue de la Sorbonne — PARIS (Ve)

* * *

 

Mise en garde

IL NE S’AGIT pas d’ajouter un « avertissement » à d’autres avertissements.

Jusqu’à la fin de l’Histoire, des gens dégoûtés du passé rempliront le monde de propositions tendant à organiser un meilleur avenir. Nous ne sommes pas, non plus, prêts à finir avec les manifestes et il y en aura d’autres. On tient simplement, pour ceux qui les ignorent, à réaffirmer les principes qui animent notre groupe.

*

L’unité du monde ne peut être obtenue que par une nouvelle méthode de connaissance capable de saisir et d’intégrer toutes les formulations créatrices lancées dans l’ensemble des disciplines humaines depuis les origines du Savoir.

Les bases seront valables autant qu’elles n’imposeront pas une obéissance aux résultats transformés en rites mais permettront le renouvellement incessant, en accordant à chacun, les moyens d’effectuer cet effort sur son propre compte. La Créatique ou le Système de bouleversement de toutes les disciplines correspond au nouveau mode de pensée attendu par les rationalistes et les romantiques, pressenti par les religieux et les mystiques de toutes les branches.

Ce centre de connaissances peut seul réconcilier le Père et le Fils, les pères et les fils qui s’entredéchirent dans tous les domaines.

L’unique valeur avec laquelle les membres de cette revue sont d’accord reste le système total d’Isou dont nous avons eu la révélation écrite ou orale. Il est le point autour duquel nos opinions traditionnelles ou originales s’accordent pour l’instant. Dans un univers d’actions sans théorie, de théorie sans actions ou de théories et d’actions fragmentaires et contradictoires, Isou est, pour nous, le modus vivendi intégral ou la plateforme de nos plus hautes exigences.

Dans un univers aux convulsions agoniques, notre défaite provoquerait le ricanement des individus vaincus d’avance, mais nous ne voyons pas, pour notre jeunesse, une plus lucide et une plus merveilleuse aventure.

Nous avons encore le temps de ressembler à nos parents ou à nos devanciers. S’il faut que « jeunesse se passe », qu’elle passe le plus tard possible.

L’idée d’avoir la gueule de nos parents nous est suffisamment insoutenable pour que nous nous méfions de leur sagesse. Nous sommes d’accord avec tout ce qui a lutté et lutte encore depuis le début du monde. Notre orthodoxie est assez forte pour embrasser toutes les hérésies imaginables ; même celles de nos pères. Mais si on est incapable de nous aider, qu’on cesse de nous prêcher l’exemple du passé et de ses défaites. Nous ne ferons de mal à personne ; ne vous blessez pas en heurtant le tranchant de notre montée.

*

Si le cinéma est une des formes les plus étendues et les plus modernes de l’art humain, il s’agit ici d’aligner ses limites jusqu’à notre présence. Le numéro actuel de Ion définit cette action dans le cinéma.

Les études et les scénarios publiés ne représentent qu’une première tranche — la plus urgente et la plus proche — de la démarche originale.

Mais nous nous méfions trop du repos des autres et de notre propre fatigue pour ne pas avancer au delà de ces données.

Nous y reviendrons. Le monde ne se débarrassera plus jamais de nous.

Il ne pourra plus que se liquider, nous suivre ou nous confirmer en nous dépassant, à son tour.

ION

 

* * *

 

Il nous arrive d’en parler…
Par POUCETTE

AUTOUR DE LA cinématographie, il y a ceux qui font le cinéma.

Comme de répondre à un appel désintéressé.

Comme de dire : l’acte et l’homme de cet acte.

Comme de dire deuxièmement : la création et le créateur.

Je déclare, moi Poucette :

Aucun des personnages de cette revue n’est fictif, chaque nom correspond à une réalité.

Le groupe « dit » lettriste est un « gang », un cénacle fasciste, une entreprise de démolition.

Il est : le groupe « dit » lettriste : il est dans sa particularité (en épluchant) la réunion des plus grands ambitieux de tous les siècles (par exemple, la moindre des ambitions pour chacun étant d’être dieu et beau).

Les personnages sont donc conformes à une réalité.

Mais il y a de ces réalités vues à travers beaucoup de méchanceté. Pourquoi ?

Chaque jour, des personnages à qui je présente les livres d’Isou se soulèvent d’indignation.

C’est :

« Ce salaud ! ce fumiste ! Si jamais je le rencontre ! »

Je leur demande :

— Connaissez-vous Isou ?

— Non.

— Avez-vous lu quelque chose d’Isou ?

— « On en a entendu parler. »

— Oui bien sûr, et quoi d’autre ?

Le groupe « dit » lettriste en a entendu bien d’autres.

Si j’en parle c’est qu’il vaut mieux y penser à Pâques qu’à la Trinité.

Je voudrais dire aussi que les gentillesses que l’on débite aux bonnes heures creuses de l’apéritif sur nos manières polies nous concernent, ce qui nous donne automatiquement le droit d’être mis dans la course.

Mais on nous élimine de la course.

Et comment !

On a peur de nous.

Et comment !

Il n’y a pas de conversation mondaine ou pas où nous n’ayons pas mis notre adversaire ou pas dans la poche.

Et comment !

Quelquefois, les jours de grande forme nous en mettons plusieurs, dans nos poches.

Et … (je ne le dirai plus).

Marc, O. à lui seul, qu’il soit ou pas, ou pas du tout en grande forme en exécute « oratoirement parlé » une bonne (et j’insiste) demi-douzaine.

Le groupe « dit » lettriste est non seulement fort et costaud.

Mais chacun de ses membres pris séparément représente un concept de beauté qui est pour tous les goûts qui sont ou pas dans la nature.

Tous sans en excepter un seul.

Ainsi on aperçoit déjà quelles possibilités nous recélons.

Et nous savons — quoi qu’on en dise — sourire sur nous-mêmes.

Mais nous n’admettrons jamais¹ (a priori) qu’une assemblée de gratteurs (de papier journal), une réunion de compères (et commères) moyens (comme le français), une foule de petits ratés, un complot de vieillards (de tout âge) sporadiques, puissent avoir un seul point de vue personnel sur nos œuvres et nous.

Nous interdisons à quiconque n’est pas « dit » lettriste de prononcer une seule parole sur nos œuvres et nous.

Parce que :

c’est admettre que le dépassé puisse juger le dépassant

c’est croire à une mystique contre la science

c’est couper l’herbe sous les pieds de l’avenir

c’est glorifier les rétrogrades

c’est baver sur le génie.

Et nous n’admettons pas que l’on souille le génie.

Quant à notre démarche dans la vie courante elle est d’une discrétion à toute épreuve.

Je défie n’importe qui de reconnaître dans la rue Isou, Marc,O., Dufrêne, G.-E. Debord, Yolande du Luart, Monique Geoffroy, ou moi-même, s’ils ne nous connaissent pas.

Nous avons les allures de tout le monde.

On dit même, souvent, que nous sommes sympathiques.

Comment osez-vous alors nous « paranoïaquiser ».

C’est qu’il y a l’œuvre et l’homme.

Et cette œuvre est trop grande pour vous, hommes !

Nous-mêmes, qui sommes les hommes de cette œuvre, la trouvons lourde pour nos épaules carrées (ce qui comme chacun le sait augmente la surface d’énergie du double).

Le monde et nous.

Le monde est nous.

Parfaitement — le monde se perpétue dans l’avenir, il n’existe qu’en l’avenir.

Nous sommes l’avenir.

Le nombre de jeunes s’intéressant à nos idées augmente proportionnellement avec le temps.

Ce n’est pas que nous ne serions pas secourables, au contraire.

Mais nous ne sommes pas médecins.

Nous laissons à la physiologie du temps le soin de remettre où il se doit ce qui doit revenir à chacun.

Chacun naît et meurt.

Ce qui importe c’est ce qui naît et ne meurt pas².

Marc,O. que je connais intimement, puisque j’en parle, disait un jour qu’il préférait à la bienveillance d’un prince, l’amour d’une princesse.

Si l’on réfléchit à ce qu’il y a de possibilités en la princesse (qui intègre le prince) on verra que si Marc,O. a l’amour de la princesse, il a forcément la bienveillance du prince.

Pas forcément — que vous dites.

— D’accord, dit encore Marc,O.

Mais il vaut mieux se faire un ennemi que de ne rien faire du tout.

Réfléchissez bien.

Si Marc,O. devient l’ennemi du prince, du même coup il devient l’ami des ennemis du prince.

Et imaginez combien un prince a d’ennemis, vous aurez le nombre d’amis actuels et à venir de Marc,O.

Or, les amis des amis étant nos amis.

En supposant que dans le groupe « dit » lettriste il y ait un seul personnage qui soit ami du Prince nous avons l’Unité de l’Éternité.

Conclusion.

Le groupe « dit » lettriste est l’éternité.

Et vous verrez qu’il y aura encore des incrédules pour ne pas y croire.

Je voudrais leur dire, à ces « sous-saint-Thomas » :

« Ne mettez pas vos doigts dans les plaies. Il y a trop de fléaux qui gardent ces plaies et trop de sang qui ne se nettoie pas. Supposez-vous, alors, avec une tache de sang qui ne s’esffacerait pas ? »

Ça ferait mauvais effet.

Soyez prudent — ne riez pas trop vite.

On ne sait jamais jusqu’où peut vous mener le rire.

Surtout que le rire mal dirigé rebondit : on le sait, comme le ballon ; et un ballon mal dirigé peut occasionner de sérieux dégâts. C’est une lourde responsabilité que de botter dans un ballon.

Voyez-vous, et je suis bienveillante en vous le disant : Ne touchez pas avec vos mains de terrassier des objets qui ne vous sont pas destinés.

Les objets précieux coûtent cher.

Et si vous ne savez pas comprendre et aimer à temps, gens de métier de plume, il en cuira à vos places.

J’affirme :

Il y a en France à l’heure actuelle (et c’est dire si c’est d’actualité) deux cent mille jeunes gens (pas un de moins) qui sont prêts à prendre vos places.

D’ailleurs ces places, critiques journalistes, comment vous les êtes-vous procurées ?

Qui a-t-on mis à la « retraite anticipée » ?

Qui mettra-t-on demain à la même retraite anticipée, ou à la porte ?

Comme je vois mal comment vous pourrez en sortir !

Lorsque je pense qu’un critique (statistique en mains) n’occupe (en moyenne) une place que sept ans et demi.

Je m’en réjouis.

Une porte qui s’ouvre — qui s’ouvrira sur la rue (et toutes ses misères) — voilà un symbole que vous ne devez oublier.

Mais le temps à cause de ces gens est perdu pour nous.

Je pourrai plus favorablement parler du groupe « dit » lettriste.

Où l’optimisme ne voisine qu’avec l’optimisme.

Où François Dufrêne se joue des mots comme un équilibriste de l’équilibre.

Où Guy-Ernest Debord « psychotridimentionalise » le musée de Cluny, comme s’il n’avait fait que ça toute sa vie.

Où Yolande du Luart va bien plus vite en taxi au cinéma qu’à pied à l’IDHEC.

Où Monique Geoffroy résout aisément des questions qui ne sont pas de son âge.

Où Marc,O. se promène partout comme chez lui et ne se trouve bien que chez lui, c’est dire combien il est partout.

Où Isou s’entend à dépasser tout ce qui est, et le dépasse beaucoup plus largement que les bonnes manières établies ne le permettent.

Où Poucette écrit aussi bien sur le lettrisme que sur les accessoires donnés par la nature à ce groupe (journalistes, foule et personnalités s’y intéressant de près comme de loin).

Ainsi, comme il arrive que cela suffise, on reprend les distances.

Car, comme disait aussi Marc,O. :

« Un jour nous irons trop loin pour être refusés. »³

NOUS AVONS DÉPASSÉ LES BORNES.

 

* * *

 

Prolégomènes à tout cinéma futur
Par GUY-ERNEST DEBORD

L’AMOUR n’est valable que dans une période pré-révolutionnaire.

J’ai fait ce film pendant qu’il était encore temps d’en parler.

Il s’agissait de s’élever avec le plus de violence possible contre un ordre éthique qui sera plus tard dépassé.

Comme je n’aime pas écrire, je manque de loisirs pour une œuvre qui ne serait pas éternelle : mon film restera parmi les plus importants dans l’histoire de l’hypostase réductionnelle du cinéma par une désorganisation terroriste du discrépant.

La ciselure de la photo et le Lettrisme (éléments donnés) sont ici envisagés comme expression en soi de la révolte.

La ciselure barre certains moments du film qui sont les yeux fermés sur l’excès du désastre. La poésie lettriste hurle pour un univers écrasé.

Le commentaire est mis en question par :

La phrase censurée, où la suppression de mots (cf. Appel pour la destruction de la prose théorique) dénonce les forces répressives.

Les mots épelés, ébauche d’une dislocation plus totale.

La destruction se poursuit par un chevauchement de l’image et du son avec :

La phrase déchirée visuelle-sonore, où la photo envahit l’expression verbale.

Le dialogue parlé-écrit, dont les phrases s’inscrivent sur l’écran, continuent sur la bande sonore, puis se répondent l’un à l’autre.

Enfin, je parviens à la mort du cinéma discrépant par le rapport de deux non-sens (images et paroles parfaitement insignifiantes), rapport qui est un dépassement du cri.

Mais tout ceci appartient à une époque qui finit, et qui ne m’intéresse plus.

Les valeurs de la création se déplacent vers un conditionnement du spectateur, avec ce que j’ai nommé la psychologie tridimensionnelle, et le cinéma nucléaire de Marc,O. qui commence un autre amplique.

Les arts futurs seront des bouleversements de situations, ou rien.

 

Hurlements en faveur de Sade
De GUY-ERNEST DEBORD

BANDE SONORE





IMAGES

Les mots en capitales seront écrits en blanc sur l’écran noir.
Le terme rencontres désigne uniformément toutes les images dont l’érotisme ne sera tempéré que par l’existence, scandaleuse et à peine croyable d’une police.

Au début de cette histoire, il y avait des gens faits pour l’oublier ; et le beau temps qui a été plus perdu que dans un labyrinthe.

(Long silence.)

Croyait que le soir passerait tout entier dans sa bouche. Mais il était malade à cause de cette impossibilité d’être compris ; et au hasard des connaissances et des ruptures, il trouvait peu à peu une métaphysique du refus.

Qu’est-il devenu ?

(Dernière strophe de Marche de François Dufrêne, dite très doucement.)

Arthur Cravan sous des eaux profondes.

(Dit par un noir américain.)

Sa trace se perd à peu de temps de là dans le golfe du Mexique où il s’est engagé de nuit sur une embarcation des plus légères.

(Cors de chasse, d’Apollinaire, qu’accompagne une improvisation supersonique de Marc,O.)

Emmanuel Dieu attend l’heure sidérale que sa tête s’en aille.

Une science des situations est à faire, qui empruntera des éléments à la psychologie, aux statistiques, à l’urbanisme et à la morale. Ces éléments devront concourir à un but absolument nouveau : une création consciente de situations.

Je n’aime pas le cinéma, mais une insurrection qui m’est promise chaque matin quand je revois Violette Nozières, ou le monument élevé à la mémoire de Serge Berna.

(Un air de Vivaldi commence.)
Se souvenait de ce bar où il attendait que le demi-siècle change, en pensant à tout ce qui allait finir une fois de plus et

(Long silence.)

toujours attachés à l’heure, aux dernières secondes, jusqu’à minuit.
(La musique continue un instant, puis s’arrête.)
Alors il sortit dans la rue froide, et les sirènes se mirent à hurler.

(Mots épelés.)

T,E,L,L,E,M,E,N,T, V,I,D,E, À, H,U,R,L,E,R, À, H,U,R,L,E,R,
(Coups de sifflets.)

Sa mémoire la retrouvait toujours, dans un éblouissement brûlé par tous les feux d’artifice du sodium au contact de l’eau.

Savait bien qu’il ne resterait rien de ces gestes dans une ville qui tourne avec la Terre, et la Terre tourne dans sa Galaxie qui est une partie assez peu considérable d’un îlot qui fuit l’infini hors de nous-mêmes.

(Mots épelés.)
C,O,R,P,S, À, C,O,R,P,S, P,E,R,D,U,S,
Il se promenait et
(Silence.)

plus désespéré que


(Fragments de J’interroge et j’invective, poème à hurler de François Dufrêne.)

La première merveille est de venir devant elle sans savoir lui parler. Les mains prisonnières ne bougent pas plus vite que les chevaux de course filmés au ralenti, pour toucher sa bouche et ses seins ; en toute innocence, les cordes deviennent de l’eau, et nous roulons ensemble vers le jour.

(Les phrases soulignées seront dites par une fille à l’accent bulgare.)

Je crois que nous ne nous reverrons jamais.

Près d’un baiser les lumières des rues de l’hiver finiront.

En ce moment à Tahiti, c’est l’aube.

Paris était très agréable à cause de la grève des transports.

Jack l’Éventreur n’a jamais été pris.

Il est amusant, le téléphone.
Quel amour-défi, comme disait Madame de Ségur.

Je vous raconterai des histoires de mon pays qui font très peur, mais il faut les raconter le soir pour avoir peur.

Ma chère Ivich, les quartiers chinois sont malheureusement moins nombreux que vous ne le pensez. Vous avez quinze ans.
Les couleurs les plus voyantes un jour ne se porteront plus.

Je vous connaissais déjà.
Séoul et d’autres nébuleuses.
La forêt vierge l’est moins que vous.

Guy, j’ai si froid.

Le Démon des armes, vous vous souvenez, c’est cela. Personne ne nous suffisait. Que voudront dire plus tard, boulevard Bonne-Nouvelle, l’inceste et l’écolière ?

(Hurlements.)

Tout de même…

La grèle sur les bannières de verre. On s’en souviendra de cette planète.

Un monde de cris a été perdu.
(répété trois fois mécaniquement et légèrement crescendo.)

pensait à quelques lignes d’un journal, en 1950.

 

(Voix monotone.)

Une jeune vedette de la radio se jette dans l’Isère.
Grenoble. La petite Madeleine Reineri, douze ans et demi, qui animait, sous le pseudonyme de Pirouette, l’émission radiophonique des Beaux Jeudis, au Poste Alpes-Grenoble, s’est jetée dans l’Isère, vendredi après-midi, après avoir déposé son cartable sur la berge de la rivière.

(Doucement.)

VARALINE
VARADALINE
SIANE MARIALE MALIVOLANE.

Ma petite sœur, nous ne sommes pas beaux à voir. L’Isère et la misère continuent. Nous n’avons pas de pouvoirs.

Le Soulèvement de la Jeunesse
(Coups de sifflets stridents ;
puis chœur lettriste en fond sonore dominé par des cris et des coups de sifflets.)

Considérations sur les rapports sexuels en France vers la fin de l’ère chrétienne.

Presque toutes les filles âgées de moins de quinze ans nous sont interdites.
La plupart des perversions sont mal vues du grand public.
La police parisienne est forte de trente mille matraques.
Il y a encore beaucoup de gens que le mot de morale ne fait ni rire, ni crier.

(Fin du chœur lettriste.)

Christiane est en prison.

L’ordre règne et ne gouverne pas.

(Mécaniquement.)

La psychologie tridimensionnelle, ou le complexe architectural défini comme moyen de connaissance.

Le chien andalou s’est enfermé dans les maisons du sommeil, comme un argonaute étranglé.
Tant d’indulgence et la victoire de Kossovo, les plaies secrètes. Au coin de la nuit les marins font la guerre ; et les bateaux dans les bouteilles sont pour toi qui les avais aimés. Tu te renversais dans la plage comme dans les mains plus amoureuses que la pluie, le vent et le tonnerre mettent tous les soirs sous ta robe.
La vie est belle l’été à Cannes.
Le viol, qui est défendu, se banalise dans nos souvenirs.
Quand nous étions sur le Chattanooga.
Oui. Bien sûr.
Et l’ensablement de ces visages qui furent les éclatements du désir, comme l’encre sur un mur, qui furent des étoiles folles.

Que le gin, le rhum et le marc coulent comme la grande Armada.
Ceci pour l’éloge funèbre.
Mais tous ces gens étaient vulgaires.

(Applaudissements et coups de sifflets simultanément.)

Le supplice de la caresse recommence avec elle et la faiblesse se refuse et augmente.

La chute verticale vide un tonneau des Danaïdes, un tonneau de gel et de lèvres.
Le tapis tourne dans une autre dimension du temps, se tache.
Comme un sucre qui fond.
La musique borne le rouge et le vert des signaux.
La nuit est à toi.
La musique triomphale s’élargit.
Il est couché à la nage dans un fleuve très chaud, une mer d’huile.
Déjà ce n’est plus qu’une affaire de cheveux.
Je n’ai jamais beaucoup aimé la Wodka, ni les confidences.

(Voix monotone.)

La petite Madeleine Reineri, douze ans et demi, qui animait, sous le pseudonyme de Pirouette, l’émission radiophonique des Beaux-Jeudis, au Poste Alpes-Grenoble, s’est jetée dans l’Isère…

Mademoiselle Reineri, dans le quartier de l’Europe, vous avez toujours votre visage étonné et ce corps, la meilleure des terres promises.

Les dialogues répètent comme le néon leurs vérités définitives.

(Solo lettriste improvisé sur un râle.)

 

 

 

 

Je savais. À une autre époque je l’ai beaucoup regretté.

 

 

Je n’ai plus rien à te dire.

 

(Fin de l’improvisation lettriste.)

Après toutes les réponses à contretemps, et la jeunesse qui se fait vieille, la nuit retombe de bien haut.

(Cris de François Dufrêne :)

 

VI

XIII ad lib.

KWORXE KOWONGUE KKH
WOZ BU WONZ GGH
WEXPI GWÈGNS
PIV
HIGNS CHTABUHI
HIGNS
STOBOHU STOBOHU KAX
GONX
KWORXE KOWONGUE KKH
WOZ BU WONZ GGH

TIYNDOLLF, TIYNDOLLF, TIYNDOLLF (bis).
GLILEUS, GLILEUS, GLILEUS, GLILEUS, GLILEUS (bis).
CHTAM, CHTAM, CHTAM, CHTAM, BAOUMPE (bis).
KFRACHIKANNKLE
KLEX

XIV

KLWATWORZZ…
CHFARBONR CHFIDRE, CHFIDRE, CHFIDRE (bis).
CHFARBONR CHGLIFT !

VI

À propos de ces souvenirs j’ai détruit le cinéma, parce que c’était plus facile que de tuer les passants.

(Ici le commentaire se limite à la lecture de divers articles du Code Civil et d’extraits d’un manuel de Littérature Française.)

 

Les mondes poétiques se ferment et s’oublient en eux-mêmes.

Sur la place Gabriel-Pomerand le brouillard dissimule des rendez-vous qui tournent au suicide.

Nous vivons en enfants perdus, nos aventures incomplètes, nos aventures démesurément petites.

La dérive des continents éloigne chaque jour davantage une fille aussi belle de Gilles de Rais.

Vous savez, tout cela n’a pas d’importance.

 

(Un court silence, puis des cris très violents dans le noir.)

Défilé de troupes de l’Armée des Indes au siècle dernier.

Écran noir.
Gros plan de Guy-Ernest Debord.
Écran noir.
Gros plan d’une fille suçant une glace.

Panoramique ascendant de la Tour Saint-Jacques, répété plusieurs fois.

 

 


Vues d’un cuirassé de la bataille de Tsoushima.

Rencontres.

Défilé de troupes de l’Armée des Indes.



Rencontres.

Scènes d’émeutes.

 

 


Rencontres.

Une fillette de douze ans sourit en passant et descend dans une bouche de métro.
Vues de Notre-Dame sous divers angles.
Écran noir.
Gros plan de Guy-Ernest Debord.
Une fille assise, le visage contre une table où ses cheveux s’étendent en avant.

 

Écran noir.
Des yeux en gros plan.
Écran noir.
Match de boxe.

Lâcher de parachutistes.

 

Pellicule brossée jusqu’à la destruction complète de l’image.

 

Visage d’une fille endormie.


Écran noir.
Gros plan de Guy-Ernest Debord.
Écran noir.
Match de boxe.

 

 

Écran noir.
Guy-Ernest Debord en plan américain boit un verre.
Écran noir.
Vues de plusieurs cheminées d’usines.

 

Pellicule brossée.

Images du ciel nocturne, au télescope.

 

 

 

 

 

 

Rencontres, au ralenti.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Scènes d’émeutes.

 

 

Isou, en gros plan, sourit à la salle.

 

Écran noir.
Gros plan de Guy-Ernest Debord.
Écran noir.
Scènes d’émeutes.

 

 

 

 

Rencontres.

 

 

 

 

 

 

 

Corps de jeunes gens tués dans les rues d’Athènes.

ET LA JEUNESSE SE DÉCOMPOSERA UN PEU PLUS.

Gros plan de Marc,O.

Intérieur du Mabillon avec ses clients habituels.

 

 

 

 

Match de boxe.

 

 

 

 

 

 

 

Vues extérieures du musée de Cluny.

 

Scènes d’émeutes.

 

 

 

 

 

 

 

 

Pellicule brossée.

 

 

 

 

 

LE DÉSORDRE POUR LE DÉSORDRE.

 

Match de boxe.

 

Pellicule brossée.

 

Lâcher de parachutistes.

 

 

 

Rencontres.

 

 

 

 

Lâcher de parachutistes.

 

 

Plaque de la rue de Lisbonne.

Progression de l’infanterie française en Indochine.

 

 

JE T’AIME.
CE DOIT ÊTRE TERRIBLE DE MOURIR.
AU REVOIR.
TU BOIS BEAUCOUP TROP.
QUE SONT LES AMOURS ENFANTINES ?
JE NE TE COMPRENDS PAS.

 

 

VEUX-TU UNE ORANGE ?
LES BEAUX DÉCHIREMENTS DES ÎLES VOLCANIQUES.
AUTREFOIS.

Images du ciel nocturne, au télescope.

 

 

 

Scènes d’émeutes.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Pendant le reste du film, succession d’images absolument quelconques ; en dehors de toute intention d’humour, de montage, ou de provocation.

 

Visage d’une fille masqué par ses cheveux.

 

Place Saint-Germain-des-Prés, déserte.

 

Rencontres.

 

Guy-Ernest Debord sort de l’Escapade et descend la rue Dauphine.

 Écran noir.

* * *


1. Si nous avons admis quelquefois. Que ceux qui n’ont pas encore reçu la monnaie de leur… se le tiennent pour dû… Ça arrive… Ça arrive…

2. Marc,O. — Tableau métagraphique.

3. Dans une Ébauche d’un Monde psychologique à venir.


8 novembre 2000

FRANÇAIS (1952-1957) (1957-1972) (1972-1994)