DEBORDIANA

Internationale situationniste
Numéro 9
Août 1964 — Directeur : Debord
Rédaction : B.P. 75-06 Paris

  

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Comité de Rédaction :
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ICHÈLE BERNSTEIN, J.VMARTIN, JAN STRIJBOSCH, RAOUL VANEIGEM

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Tous les textes publiés dans Internationale Situationniste
peuvent être librement reproduits, traduits ou adaptés même sans indication d’origine.

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Table


 Maintenant, l’I.S.

 Le monde dont nous parlons :

La technique de l’isolement

Les mots et leurs employeurs

Les loisirs travaillent

L’absence et ses habilleurs

L’urbanisme comme volonté et comme représentation

Réflexions sur la violence

Choix entre les modèles disponibles de révolution

 Le dernier show : les curés la ramènent

La contestation en miettes

Esquisse d’une morale sans obligation ni sanction

« Je suis forcé d’admettre que tout continue » (Hegel)

L’I.S. vous l’avait bien dit

 Le questionnaire

Mousse contrôlée

 Les mois les plus longs (février 1963 - juillet 1964)

 IVAN CHTCHEGLOV, Lettres de loin

J.VMARTIN, JAN STRIJBOSCH, RAOUL VANEIGEM, RENÉ VIÉNET, Réponse à une enquête du Centre d’art socio-expérimental. 6 décembre 1963

 GUY DEBORD, Correspondance avec un cybernéticien

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Maintenant, l’I.S.

 

« Chaque période forge elle-même son matériel humain, et si notre époque avait vraiment besoin de travaux théoriques, elle créerait elle-même les forces nécessaires à sa satisfaction. »

ROSA LUXEMBOURG, dans Vorwärts du 14 mars 1903.

 

MAINTENANT QUE les situationnistes ont déjà une histoire, et qu’il apparaît que leur activité s’est taillée un rôle, très particulier mais assurément central, dans le débat culturel des toutes dernières années, certains reprochent à l’I.S. d’avoir réussi, et d’autres lui reprochent d’avoir échoué.

Pour comprendre la signification réelle de ces termes, ainsi que presque tous les jugements de l’intelligentsia assise à propos de l’I.S., il faut d’abord les renverser. La part d’échec de l’I.S., c’est ce qui est communément considéré comme du succès : la valeur artistique que l’on commence à apprécier parmi nous ; la première mode sociologique ou urbanistique qu’en viennent à trouver certaines de nos thèses ; ou tout simplement la réussite personnelle quasiment garantie à tout situationniste dès le lendemain de son exclusion. La part de notre réussite, plus profonde, c’est d’avoir résisté aux compromissions qui s’offraient en foule ; c’est de n’être pas restés sur notre premier programme sommaire, mais d’avoir fait la preuve que son principal caractère avant-gardiste, en dépit de quelques autres plus apparents, était dans le fait qu’il devait mener plus loin ; et ainsi, c’est de n’être encore considérés par personne, dans les cadres établis du présent.

Sans doute nos erreurs ont-elles été assez nombreuses. Nous les avons souvent corrigées, ou abandonnées, alors que là étaient précisément les éléments qui réussissaient, ou auxquels le maximum d’aide venait se proposer pour les mener à la réussite. Il est facile de relever dans nos premières publications les déficiences, les bavardages, les fantaisies issues du vieux monde artistique, les approximations de l’ancienne politique ; et c’est d’ailleurs à la lumière des conclusions ultérieures de l’I.S. qu’elles sont le plus aisément criticables. Un facteur inverse a naturellement laissé moins de trace dans nos écrits, mais a pesé très lourdement : un abstentionnisme nihiliste, une grave incapacité, chez beaucoup de nous, de penser et d’agir au-delà des premiers balbutiements d’un dialogue positif. Ceci va bien, presque toujours, avec l’exigence la plus abstraite et la plus mensongère d’un radicalisme désincarné.

Il y a cependant une déviation qui nous a menacé plus gravement que toutes les autres : c’était le risque de ne pas se différencier assez nettement des tendances modernes d’explications et de propositions sur la nouvelle société où le capitalisme nous a menés, toutes tendances qui, sous différents masques, sont celles de l’intégration à cette société. Depuis l’interprétation de l’urbanisme unitaire par Constant, cette tendance s’est exprimée dans l’I.S., et elle est infiniment plus dangereuse que la vieille conception artistique que nous avons tant combattue. Elle était plus moderne, donc moins évidemment claire, et certes promise à un plus grand avenir. Notre projet s’est formé en même temps que les tendances modernes à l’intégration. Il y a donc une opposition directe, et aussi un air de ressemblance, en ce que nous sommes réellement contemporains. Nous n’avons pas suffisamment pris garde à cet aspect des choses, et encore récemment. C’est ainsi qu’il n’est pas impossible de lire les propositions d’Alexander Trocchi — dans le numéro 8 de cette revue —, en dépit d’un esprit évidemment tout opposé, comme quelque chose qui pourrait être apparenté à ces pauvres essais de sauvetage « psychodramatique » de l’art décomposé qu’exprimait par exemple le ridicule Workshop de la Libre-Expression, à Paris en mai dernier. Mais le point où nous sommes arrivés clarifie et notre projet et, inversement, le projet d’intégration. Tous les cas de recherches réellement modernes, et non-révolutionnaires, doivent être maintenant vus et traités comme notre ennemi numéro un. Ils vont renforcer tous les contrôles existants.

Nous ne devons pas pour autant quitter la pointe extrême du monde moderne dans le seul but de ne lui ressembler en rien, ou même de ne rien lui apprendre qui puisse servir contre nous. Il est bien normal que nos ennemis arrivent à nous utiliser partiellement. Nous n’allons ni leur laisser le champ actuel de la culture, ni nous mélanger à eux : il est clair que ces mêmes bons apôtres qui veulent bien nous admirer et nous comprendre à distance respectueuse nous conseilleraient volontiers la pureté de la première attitude pour adopter, eux, la seconde. Nous rejetons ce formalisme suspect : tout comme le prolétariat, nous ne pouvons pas prétendre à être inexploitables dans les conditions données. Ceci doit seulement se faire aux risques et périls des exploiteurs. L’I.S. s’est nettement placée dans une alternative à la culture dominante, et particulièrement à ses formes dites d’avant-garde. Les situationnistes estiment qu’il leur faut hériter de l’art qui est mort — ou de la réflexion philosophique séparée, dont personne, malgré les efforts actuels, n’arrivera à « restituer » le cadavre —, parce que le spectacle qui remplace cet art et cette pensée est, lui, l’héritier de la religion. Et comme l’a été « la critique de la religion » (critique que la gauche actuelle a abandonnée en même temps qu’elle abandonnait toute pensée et toute action), la critique du spectacle est aujourd’hui la condition première de toute critique.

La route du contrôle policier parfait de toutes les activités humaines et la route de la création libre infinie de toutes les activités humaines est une : c’est la même route des découvertes modernes. Nous sommes forcément sur la même route que nos ennemis — le plus souvent, les précédant — mais nous devons y être, sans aucune confusion, en ennemis. Le meilleur gagnera.

L’époque actuelle peut faire l’essai mais non l’emploi de multiples innovations, parce qu’elle est enchaînée à la conservation fondamentale d’un ordre ancien. La nécessité d’une transformation révolutionnaire de la société est le Delenda est Carthago de tous nos discours novateurs.

La critique révolutionnaire de toutes les conditions existantes n’a certes pas le monopole de l’intelligence, mais bien celui de son emploi. Dans la crise présente de la culture, de la société, ceux qui n’ont pas cet emploi de l’intelligence, n’ont, en fait, aucune sorte d’intelligence discernable. Cessez de nous parler d’intelligence sans emploi, vous nous ferez plaisir. Pauvre Heidegger ! Pauvre Lukàcs ! Pauvre Sartre ! Pauvre Barthes ! Pauvre Lefebvre ! Pauvre Cardan ! Tics, tics et tics. Sans le mode d’emploi de l’intelligence, on n’a que par fragments caricaturaux les idées novatrices, celles qui peuvent comprendre la totalité de notre époque dans le même mouvement qu’elles la contestent. On ne sait même pas plagier harmonieusement ces idées quand on les rencontre là où elles sont déjà. Les penseurs spécialisés ne savent sortir de leur domaine que pour jouer les spectateurs béats d’une spécialisation voisine, également en déconfiture, qu’ils ignoraient mais qui vient à la mode. L’ancien spécialiste de la politique d’ultra-gauche s’émerveille de découvrir, en même temps que le structuralisme et la psychosociologie, une idéologie ethnologique pour lui toute fraîche : le fait que les Indiens Zuni n’ont pas eu d’histoire lui paraît la lumineuse explication de sa propre incapacité d’agir dans notre histoire (Allez rire aux vingt-cinq premières pages du n° 36 de Socialisme ou Barbarie). Les spécialistes de la pensée ne peuvent plus être que des penseurs de la spécialisation. Nous ne prétendons pas avoir le monopole de la dialectique, dont tout le monde parle ; nous prétendons seulement avoir le monopole provisoire de son emploi.

On ose encore opposer à nos théories les exigences de la pratique, et ceux qui en parlent, à ce degré de délire méthodologique, se sont en plus abondamment révélés incapables de réussir la plus petite pratique. Quand la théorie révolutionnaire reparaît dans notre époque, et ne peut compter que sur elle-même pour se diffuser dans une pratique nouvelle, il nous semble qu’il y a déjà là un important début de pratique. Cette théorie se trouve, au départ, dans le cadre de la nouvelle ignorance diplômée que diffuse la société actuelle, beaucoup plus radicalement coupée des masses qu’au XIXe siècle. Nous partageons normalement son isolement, ses risques, son sort.

Pour venir nous parler, il convient donc de ne pas être déjà compromis soi-même, et de savoir que, si nous pouvons nous tromper momentanément sur beaucoup de perspectives de détail, nous n’admettrons jamais d’avoir pu nous tromper dans le jugement négatif des personnes. Nos critères qualitatifs sont bien trop sûrs pour nous permettre d’en discuter. Il est donc inutile de nous approcher si l’on n’est pas d’accord théoriquement et pratiquement sur nos condamnations de personnalités ou de courants contemporains. Une partie des penseurs qui vont maintenant commenter et aménager la société moderne l’ont déjà commentée, et finalement conservée, en termes plus archaïques quand ils étaient, par exemple, staliniens. Ils vont à présent se rengager, imperturbables, aussi fraîchement et joyeusement, pour une deuxième faillite. D’autres, qui les ont combattu dans la phase précédente, les rejoignent maintenant pour communier enfin dans la nouveauté. Toutes les spécialisations de l’illusion peuvent être enseignées et discutées dans des chaires inamovibles. Mais les situationnistes s’établissent dans la connaissance qui est au dehors de ce spectacle : nous ne sommes pas des penseurs garantis par l’État.

Nous avons à organiser une rencontre cohérente entre les éléments de critique et de négation épars dans le monde, comme faits et comme idées ; entre ces éléments venus à la conscience et toute la vie de ceux qui en sont porteurs ; enfin, entre les gens, ou les premiers groupes qui, ça et là, affleurent à ce niveau de connaissance intellectuelle, de contestation pratique. Ainsi, la coordination de ces recherches et de ces luttes sur le plan le plus pratique (une nouvelle liaison internationale) est en ce moment inséparable de la coordination sur le plan le plus théorique (qu’exprimeront plusieurs ouvrages actuellement préparés par des situationnistes). Par exemple, le présent numéro de cette revue, pour expliquer mieux ce qu’il y a eu parfois de trop abstrait dans l’exposé de nos thèses, a fait une large place à une présentation cohérente d’éléments existant déjà dans l’information la plus courante. La suite de nos travaux va devoir s’exprimer sous des formes plus amples. Cette suite excèdera de beaucoup ce que nous aurons pu entreprendre par nous-mêmes.

Alors que l’impuissance contemporaine se gargarise ces années-ci du projet tardif d’« entrer dans le vingtième siècle », nous estimons que l’on doit, au plus tôt, mettre un terme à ce temps mort qui aura dominé le siècle, et du reste, par la même occasion, à l’ère chrétienne. Ici comme ailleurs, il s’agit de dépasser la mesure. Notre démarche est ce que l’on a fait de mieux jusqu’ici pour sortir du vingtième siècle.

 

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Le monde dont nous parlons

 

Le dernier show : les curés la ramènent

L’ÉGLISE, qui a si longtemps combattu « les spectacles » alors qu’elle défendait son monopole du spectacle social fondé sur l’arrière-monde divin, se taille aujourd’hui sa place — limitée mais importante — dans le spectacle du siècle. Elle fait les concessions utiles, met en scène ses papes-vedettes, récupère les architectes perdus des expériences abandonnées du primitivisme concentrationnaire. L’internationale des curés est en mesure d’élever la voix partout, et sur tous les tons : rescapés de l’Inquisition aussi bien que parachutés dans la jeunesse sauvage. Ils fournissent en plus ces effarants penseurs-thalidomide du « christianisme rouge », ces mutants teilhardiens qui ne peuvent vivre qu’en couveuse : sous cloche dans l’ultra-vide de la pensée de la gauche actuelle (voir les exemples ici même, aux chapitres Les mots et leurs employeurs et La contestation en miettes). Il est pourtant clair qu’il ne saurait exister de chrétiens non-orthodoxes depuis la fin des siècles où la contestation du monde devait se poser d’abord en termes religieux. Tout christianisme est déjà unifié théoriquement, avant de l’être œcuméniquement. L’abandon de la critique de la religion est forcément le sommet ultime de l’abandon de toute critique.

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Selon M. Simon Wiesenthal, ancien directeur du centre de documentation de la Fédération des Juifs persécutés par les Nazis, qui assiste actuellement au procès d’Auschwitz, « le constructeur des fours crématoires du camp vit encore en Autriche, et dernièrement il a bâti une église ».

Le Monde, 7-3-64.

Ce fut une grande surprise lorsque le pape annonça, le 4 décembre 1963, au cours de la cérémonie de clôture de la deuxième session de Vatican II, qu’il se rendrait en Palestine… Dans certains cercles catholiques et dans toute la sphère protestante, on a déploré que ce voyage ait pris, par endroits, des aspects inattendus et fâcheux. Ne pouvait-on pas éviter tant de manifestations désordonnées ? Cet excès de battage à l’américaine ? En admettant qu’il fût souhaitable que les cérémonies revêtissent un caractère populaire, n’eussent-elles pas dû être protégées contre les feux de la technique publicitaire ? Trop de photographes, trop de cinéastes !

Le Monde, 20-6-64.

Un film sur Jean XXIII va être tourné par Ermanno Olmi. Les prises de vues commenceront à la fin de l’été. Le réalisateur se propose d’utiliser des bandes de documentaires pour montrer le pape, qu’il hésite à présenter sous les traits d’un acteur.

A.F.P., Rome, 9-5-64.

Le dimanche, en France, à l’heure du tiercé, les églises songent à retarder les offices religieux… car 3 millions de Français ont en main, entre 10 h et 12 h, leur ticket…

Week-End, 22-2-64.

« Dieu, qui a créé nos plages, ne les a pas faites pour qu’elles deviennent des lieux d’orgie où des hommes à demi nus et des femmes en bikinis, sans moralité ni pudeur, offusquent le pur regard de nos enfants et allument chez nos adolescents la flamme de l’instinct sexuel », déclare, dans une tonnante lettre pastorale, Mgr Antonio, évêque des Canaries.

France-Soir, 10-5-64.

Le temps presse… 142 églises à construire. Cette œuvre immense ne repose que sur la générosité des Parisiens. Que tous joignent donc hardiment leur effort à celui de nos « bâtisseurs d’églises ». Qui refuserait d’apporter sa pierre aux Chantiers du Cardinal ?

Appel du Cardinal Feltin, le 23-4-64.

Nouvelles empoignades, samedi, entre « Mods » et « Rockers », les deux bandes rivales de jeunes voyous anglais, dans plusieurs villes du centre de l’Angleterre et dans la banlieue de Londres. Près de 100 arrestations ont été opérées. Cependant, des « Rockers » ont aidé un pasteur en jaquette de cuir et tenue de motocycliste à distribuer des affiches du Mouvement de lutte contre la faim, et à Trafalgar Square, ils ont reçu la bénédiction du frère Austen Williams, vicaire de l’église du quartier.

France-Soir, 26-5-64.

 

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Le questionnaire

 

1. Que veut dire le mot « situationniste » ?

Il définit une activité qui entend faire les situations, non les reconnaître, comme valeur explicative ou autre. Ceci à tous les niveaux de la pratique sociale, de l’histoire individuelle. Nous remplaçons la passivité existentielle par la construction des moments de la vie, le doute par l’affirmation ludique. Jusqu’à présent, les philosophes et les artistes n’ont fait qu’interpréter les situations ; il s’agit maintenant de les transformer. Puisque l’homme est le produit des situations qu’il traverse, il importe de créer des situations humaines. Puisque l’individu est défini par sa situation, il veut le pouvoir de créer des situations dignes de son désir. Dans cette perspective doivent se fondre et se réaliser la poésie (la communication comme réussite d’un langage en situation), l’appropriation de la nature, la libération sociale complète. Notre temps va remplacer la frontière fixe des situations-limites que la phénoménologie s’est complue à décrire, par la création pratique des situations ; va déplacer en permanence cette frontière avec le mouvement de l’histoire de notre réalisation. Nous voulons une phénoméno-praxis. Nous ne doutons pas que ceci sera la banalité première du mouvement de libération possible de notre temps. Que s’agit-il de mettre en situation ? À différents niveaux, ce peut être cette planète, ou l’époque (une civilisation, au sens de Burckhardt par exemple), ou un moment de la vie individuelle. Allez, la musique ! Les valeurs de la culture passée, les espoirs de réaliser la raison dans l’histoire, n’ont pas d’autre suite possible. Tout le reste se décompose. Le terme situationniste, au sens de l’I.S. est exactement le contraire de ce que l’on appelle actuellement en portugais un « situationniste », c’est-à-dire un partisan de la situation existante, là donc du salazarisme.

 

2. L’Internationale situationniste est-elle un mouvement politique ?

Les mots « mouvement politique » recouvrent aujourd’hui l’activité spécialisée des chefs de groupes et de partis, puisant dans la passivité organisée de leurs militants la force oppressive de leur pouvoir futur. L’I.S. ne veut rien avoir de commun avec le pouvoir hiérarchisé, sous quelque forme que ce soit. L’I.S. n’est donc ni un mouvement politique, ni une sociologie de la mystification politique. L’I.S. se propose d’être le plus haut degré de la conscience révolutionnaire internationale. C’est pourquoi elle s’efforce d’éclairer et de coordonner les gestes de refus et les signes de créativité qui définissent les nouveaux contours du prolétariat, la volonté irréductible d’émancipation. Axée sur la spontanéité des masses, une telle activité est incontestablement politique ; à moins qu’on en dénie la qualité aux agitateurs eux-mêmes. Dans la mesure où de nouveaux courants radicaux apparaissent au Japon (l’aile extrémiste du mouvement Zengakuren), au Congo, dans la clandestinité espagnole, l’I.S. leur consent un appui critique, et donc s’emploie à les aider pratiquement. Mais contre tous les « programmes transitoires » de la politique spécialisée, l’ I.S. se réfère à une révolution permanente de la vie quotidienne.

 

3. L’I .S. est-elle un mouvement artistique ?

Une grande part de la critique situationniste consacrée à la société de consommation consiste à montrer à quel point les artistes contemporains, en abandonnant la richesse de dépassement contenue, sinon exploitée, dans la période 1910­1925, se condamnèrent pour la plupart à faire de l’art comme on fait des affaires. Les mouvements artistiques ne sont, depuis lors, que les retombées imaginaires d’une explosion qui n’a jamais eu lieu, qui menaçait et menace encore les structures de la société. La conscience d’un tel abandon et de ses implications contradictoires (le vide et la volonté d’un retour à la violence initiale) fait de l’I.S. le seul mouvement qui puisse, en englobant la survie de l’art dans l’art de vivre, répondre au projet de l’artiste authentique. Nous sommes des artistes par cela seulement que nous ne sommes plus des artistes : nous venons réaliser l’art.

 

4. L’I.S. est-elle une manifestation nihiliste ?

L’I.S. refuse le rôle, qu’on est tout prêt de lui accorder, dans le spectacle de la décomposition. L’au-delà du nihilisme passe par la décomposition du spectacle ; et c’est à quoi l’I.S. entend bien s’employer. Tout ce qui s’élabore et se construit hors d’une telle perspective n’a pas besoin de l’I.S. pour s’effondrer de soi-même ; mais il est aussi vrai que, partout dans la société de consommation, les terrains vagues de l’effondrement spontané offrent aux valeurs nouvelles un champ d’expérimentation dont l’I.S. ne peut se passer. Nous ne pouvons construire que sur les ruines du spectacle. Par ailleurs, la prévision, parfaitement fondée, d’une destruction totale oblige à ne construire jamais qu’à la lumière de la totalité.

 

5. Les positions situationnistes sont-elles utopiques ?

La réalité dépasse l’utopie. Entre la richesse des possibilités techniques actuelles et la pauvreté de leur usage par les dirigeants de tout ordre, il n’y a plus à jeter un pont imaginaire. Nous voulons mettre l’équipement matériel à la disposition de la créativité de tous, comme partout les masses s’efforcent de le faire dans le moment de la révolution. C’est un problème de coordination, ou de tactique, comme on voudra. Tout ce dont nous traitons est réalisable : soit immédiatement, soit à court terme, du moment que l’on commence à mettre en pratique nos méthodes de recherche, d’activité.

 

6. Jugez-vous nécessaire de vous appeler ainsi, des « situationnistes » ?

Dans l’ordtre existant, où la chose prend la place de l’homme, toute étiquette est compromettante. Cependant, celle que nous avons choisie porte en elle sa propre critique, fût-elle sommaire, en ce qu’elle s’oppose à celle de « situationnisme », que les autres choisissent pour nous. Elle disparaîtra d’ailleurs lorsque chacun de nous sera situationniste à part entière, et non plus prolétaire luttant pour la fin du prolétariat. Dans l’immédiat, aussi dérisoire que soit une étiquette, elle a le mérite de trancher entre l’ancienne incohérence et une exigence nouvelle. Ce qui avait le plus manqué à l’intelligence depuis quelques dizaines d’années, c’est précisément le tranchant.

 

7. Quelle est l’originalité des situationnistes, en tant que groupe délimité ?

Il nous semble que trois points remarquables justifient l’importance que nous nous attribuons comme groupe organisé de théoriciens et expérimentateurs. Premièrement, nous faisons, pour la première fois, une nouvelle critique, cohérente, de la société qui se développe actuellement, d’un point de vue révolutionnaire ; cette critique est profondément ancrée dans la culture et l’art de ce temps, en tient les clés (évidemment, ce travail est assez loin d’être achevé). Deuxièmement, nous pratiquons la rupture complète et définitive avec tous ceux qui nous y obligent, et en chaîne. Ceci est précieux dans une époque où les diverses sortes de résignation sont subtilement imbriquées et solidaires. Troisièmement, nous inaugurons un nouveau style de rapports avec nos « partisans » ; nous refusons absolument les disciples. Nous ne nous intéressons qu’à la participation au plus haut niveau ; et à lâcher dans le monde des gens autonomes.

 

8. Pourquoi ne parle-t-on pas de l’I.S. ?

On en parle assez souvent, parmi les possesseurs spécialisés de la pensée moderne en liquéfaction ; mais on en écrit très peu. Au sens le plus général, c’est parce que nous refusons le terme « situationnisme », qui serait la seule catégorie susceptible de nous introduire dans le spectacle régnant, nous y intégrant sous forme de doctrine figée contre nous-mêmes, sous forme d’idéologie au sens de Marx. Il est normal que le spectacle que nous refusons, nous refuse. On parle plus volontiers des situationnistes en tant qu’individus, pour tenter de les séparer de la contestation d’ensemble, sans laquelle, d’ailleurs, ils ne seraient même pas des individus « intéressants ». On parle des situationnistes dès qu’ils cessent de l’être (les variétés rivales de « nashisme », dans plusieurs pays, ont cette seule célébrité commune de prétendre mensongèrement à une relation quelconque avec l’I.S.). Les chiens de garde du spectacle reprennent sans le dire des fragments de théorie situationniste, pour la retourner contre nous. Ils s’en inspirent, comme il est normal, dans leur lutte pour la survie du spectacle. Il leur faut donc cacher la source, c’est-à-dire la cohérence de telles « idées ». Ce n’est pas seulement par vanité de plagiaire. De plus, bien des intellectuels hésitants n’osent parler ouvertement de l’I.S., parce qu’en parler implique une prise de parti minimum : dire nettement ce que l’on refuse, en contrepartie de ce que l’on en retient. Beaucoup croient, bien à tort, que feindre en attendant l’ignorance aura dégagé leur responsabilité pour plus tard.

 

9. Quel appui donnez-vous au mouvement révolutionnaire ?

Par malheur, il n’y en a pas. La société contient, certes, des contradictions, et change. Ce qui rend, d’une façon toujours nouvelle, possible et nécessaire une activité révolutionnaire qui, actuellement, n’existe plus, ou pas encore, sous forme de mouvement organisé. Il ne s’agit donc pas d’« appuyer » un tel mouvement, mais de le faire : de le définir et, inséparablement, de l’expérimenter. Dire qu’il n’y a pas de mouvement révolutionnaire est le premier geste, indispensable, en faveur d’un tel mouvement. Tout le reste est replâtrage dérisoire du passé.

 

10. Êtes-vous marxistes ?

Bien autant que Marx disant « Je ne suis pas marxiste ».

 

11. Y a-t-il un rapport entre vos théories est votre mode de vie réel ?

Nos théories ne sont rien d’autre que la théorie de notre vie réelle, et du possible expérimenté ou aperçu en elle. Aussi parcellaires que soient, jusqu’à nouvel ordre, les champs d’activité disponibles, nous nous y comportons pour le mieux. Nous traitons l’ennemi en ennemi, c’est un premier pas que nous recommandons à tout le monde, comme apprentissage accéléré de la pensée. Par ailleurs, il va de soi que nous soutenons inconditionnellement toutes les formes de la liberté des mœurs, tout ce que la canaille bourgeoise ou bureaucratique appelle débauche. Il est évidemment exclu que nous préparions par l’ascétisme la révolution de la vie quotidienne.

 

12. Les situationnistes sont-ils à l’avant-garde de la société des loisirs ?

La société des loisirs est une apparence qui recouvre un certain type de production-consommation de l’espace-temps social. Si le temps du travail productif propremment dit se réduit, l’armée de réserve de la vie industrielle va travailler dans la consommation. Tout le monde est successivement ouvrier et matière première dans l’industrie des vacances, des loisirs, du spectacle. Le travail existant est l’alpha et l’oméga de la vie existante. L’organisation de la consommation, plus l’organisation des loisirs, doit équilibrer exactement l’organisation du travail. Le « temps libre » est une mesure ironique dans le cours d’un temps préfabriqué. Rigoureusement, ce travail ne pourra donner que ce loisir, tant pour l’élite oisive — en fait, de plus en plus, semi oisive — que pour les masses qui accèdent aux loisirs momentanés. Aucune barrière de plomb ne peut isoler, ni un morceau du temps, ni le temps complet d’un morceau de la société, de la radioactivité que diffuse le travail aliéné ; ne serait-ce qu’en ce sens que c’est lui qui façonne la totalité des produits, et de la vie sociale, ainsi et pas autrement.

 

13. Qui vous finance ?

Nous n’avons jamais pu être financés, d’une manière extrêmement précaire, que par notre propre emploi dans l’économie culturelle de l’époque. Cet emploi est soumis à cette contradiction : nous avons de telles capacités créatives que nous pouvons « réussir » tout presque à coup sûr ; nous avons une exigence si rigoureuse d’indépendance et de parfaite cohérence entre notre projet et chacune de nos réalisations présentes (cf. notre définition d’une production artistique anti-situationniste) que nous sommes presque totalement inacceptables pour l’organisation dominante de la culture, même dans des affaires très secondaires. L’état de nos ressources découle de cette composante. Voir, à ce propos, ce que nous avons écrit dans le numéro 8 de cette revue (page 26) sur « les capitaux qui ne manqueront jamais aux entreprises nashistes » et, à l’inverse, nos conditions (dernière page de cette revue).

 

14. Combien êtes-vous ?

Un peu plus que le noyau initial de guérilla dans la Sierra Maestra, mais avec moins d’armes. Un peu moins que les délégués qui étaient à Londres en 1864, pour fonder l’Association Internationale des Travailleurs, mais avec un programme plus cohérent. Aussi fermes que les Grecs des Thermopyles (« Passant, va dire à Lacédémone… »), mais avec un plus bel avenir.

 

15. Quelle valeur pouvez-vous attribuer à un questionnaire ? À celui-ci ?

Il s’agit manifestement d’une forme de dialogue factice, devenant aujourd’hui obsessionnelle avec toutes les psychotechniques de l’intégration au spectacle (la passivité joyeusement assumée sous un déguisement grossier de « participation », d’activité en peau de lapin). Mais nous, nous pouvons soutenir, à partir d’une interrogation incohérente, réifiée, des positions exactes. En fait, ces positions ne « répondent » pas, en ceci qu’elles ne renvoient pas aux questions ; elles renvoient les questions. Ce sont des réponses telles qu’elles devraient transformer les questions. Ainsi le véritable dialogue pourrait commencer après ces réponses. Dans le présent questionnaire, toutes les questions sont fausses ; et nos réponses vraies cependant.

 

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Les mois les plus longs
(février 1963-juillet 1964)

 

L’I.S. A PUBLIÉ, en février 1963, un document intitulé Aux poubelles de l’histoire, à propos de la disparition de la revue Arguments. Dans ce document se trouve reproduit le texte situationniste Sur la Commune, ainsi que la copie diluée qu’Henri Lefebvre en avait sournoisement publiée, sous sa signature, dans le dernier numéro d’Arguments, paraphant ainsi, sur le mode grandiose, ce carnaval du truquage de la pensée moderne dont Arguments a été, en France, l’expression la plus pure.

La liste qui suit est celle des collaborateurs d’Arguments : J.-M. Albertini, K. Axelos, Roland Barthes, Abel Benssi, Jacques Berque, Yvon Bourdet, Pierre Broué, T. Caplow, Bernard Cazes, François Châtelet, Jean Choay, Choh-Ming-Li, Michel Colinet, Lewis Coser, Michel Crozier, Michel Deguy, Gilles Deleuze, Romain Denis, Albert Détraz, Manuel de Diégez, Jean Duvignaud, Claude Faucheux, F. Fejtö, Léopold Flam, J.-C. Filloux, P. Fougeyrollas, Jean Fourastié, André Frankin, F. François, G. Friedmann, J. Gabel, P. Gaudibert, Daniel Guérin, Roberto Guiducci, Luc de Heusch, Roman Jakobson, K.A. Jelenski, Bertrand de Jouvenel, Georges Lapassade, Henri Lefebvre, O. Loras, Stéphane Lupasco, Tibor Mende, Meng-Yu-Ku, Robert Misrahi, Abraham Moles, Jacques Monbart, E. Morin, V. Morin, Serge Moscovici, Roger Munier, Pierre Naville, Max Pagès, R. Pagès, Robert Paris, François Perroux, A. Phillip, André Pidival, Alexandre Pizzorno, David Rousset, Maximilien Rubel, Otto Schiller, Walter Schulz, H.F. Schurmann, M. Sheppard, Jean Starobinski, A. Stawar, Jan Tinbergen, Jean Touchard, Alain Touraine, Bernard Ullmann, Aimé Valdor.

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Les thèses situationnistes sur la Commune ont été traduites en italien et publiées dans le n° 9 de la revue Nuova Presenza (printemps 1963), en regard de leur copie par Lefebvre. Les deux directeurs de cette revue ayant exprimé en deux articles des avis assez différents, il importe de remarquer que l’un et l’autre feignent de croire que l’essentiel de la théorie de l’I.S., et de sa présence dans notre temps, se ramène à une interprétation de la Commune de 1871 ; et surtout qu’aucun d’eux ne signale que la publication de ces thèses n’est qu’un détail dans un document concernant la lutte pratique de l’I.S. contre le déguisement spectaculaire qui cache, en ce moment, les questions réellement subversives (en ce cas, notre boycott d’Arguments et la démonstration de son plein succès). Ainsi, il leur devient aisé de parler de “faiblesse pratique” et de “manque de perspectives historiques”. C’est bien la question.

« Précisons que l’Internationale Situationniste est l’organe d’un groupe de jeunes qui se placent sur une position de critique radicale de la “société du spectacle”, c’est-à-dire l’organisation technologique et technocratique moderne qui tend à manipuler, selon les fins de l’industrie de consommation, les manifestations de la créativité humaine… Continuation d’un mouvement théorique qui a ses racines dans le premier romantisme, et se poursuit à travers Rimbaud, les surréalistes, Bataille, Klossowski ; au-delà de sa faiblesse pratique, condamné qu’il est à succomber par manque de perspectives historiques sous l’appareil de domination et de frustration des bureaucrates modernes, ce mouvement représente l’expression de refus des nouvelles générations qui se trouvent en face d’une société fondée sur la mystification et le mensonge. » — FRANCO FLOREANINI (Les valeurs de la Commune dans la lutte contre le totalitarisme des technocrates et la pétrification idéologique des stalinistes et des bureaucrates du socialisme).

« Quelques lignes ne paraissent pas suffisantes pour examiner l’interprétation avancée par Lefebvre à propos de la Commune, surtout si ces lignes doivent être consacrées exclusivement à les confronter avec les thèses de l’Internationale Situationniste, desquelles elle découle critiquement. C’est ici seulement l’occasion de prendre en considération ces dernières thèses et leur réexamen critique opéré par Lefebvre : et le jugement sur les premières comme sur le second ne peut être, à notre avis, que résolument négatif. Au complexe phénomène historique du stalinisme, pas encore surmonté en Union Soviétique et dans l’élite communiste française, se voit opposée une forme historique mystique : dans une telle forme mystique de “dictature du prolétariat” on veut retrouver l’autonomie des forces prolétariennes et la participation directe et indirecte de telles forces au pouvoir, qui manque dans le stalinisme installé dans sa bureaucratie immobile et son anti-humanisme. Mais une telle participation se trouve complètement séparée de sa problématique historique et structurelle pour devenir une aspiration irrationnelle confuse, sans réels termes idéologiques. L’autonomie des forces prolétariennes, le problème principiel et historique de leur participation au pouvoir en viennent à se réduire au mythe suggestif et transcendant d’un “jeu quotidien avec le pouvoir”, d’une “fête” populaire, de “l’autonomie” des groupes armés populaires. Et l’on n’hésite pas à mêler dans cet élan utopique des formules qui semblent franchement médiocres et quasi-superstitieuses : ainsi la prétendue originalité d’un “urbanisme révolutionnaire” qui “ne croit pas qu’un monument soit innocent”, l’apologie anti-humaniste de ceux qui voulaient détruire la cathédrale Notre-Dame, exprimant ainsi “par cette démolition leur défi total à la société”, ou enfin le regret qui n’est pas moins anti-humaniste concernant les actes demeurés “ébauchés”, et en tant que tels considérés comme des “atrocités”. Tout ce nœud d’irrationnalité, qui trouve sa base naturelle dans une expérience distante et non point vécue historiquement, reste substantiellement intégré dans ce que Lefebvre a repensé, réussissant seulement à exclure quelques formules parmi les plus abstraites… Une protestation qui n’a pas, et ne veut pas avoir, de contact avec la réalité historique d’aujourd’hui… Le stalinisme… est pour lui-même une mystification irrationnelle, une projection sur les forces prolétariennes d’aspirations abstraites, semblables par leur schématisme à celles qui se trouvent dans les thèses sur la Commune de l’Internationale Situationniste. Il est temps que les communistes se posent le problème du dépassement du stalinisme à travers une rationalisation de la vie politique et idéologique, par des formes institutionnalisées qui garantissent la dialectique entre les forces de la classe ouvrière et celles qui assument la conduite de la révolution sociale. » — MARCELLO GENTILI (Deux protestations irrationnelles contre le stalinisme).

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Quelques débris d’une nuance stalinienne du surréalisme étant venus relancer des situationnistes à Anvers, sous un prétexte d’anti-fascisme parfaitement onirique, leur éjection a été commentée par un tract du 27 février 1963, en néerlandais et en français : Pas de dialogue avec les suspects ! Pas de dialogue avec les cons !

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Le premier numéro de la revue de l’I.S. en langue allemande Der Deutsche Gedanke a paru en avril 1963, sous la direction de Raoul Vaneigem. Compte tenu de diverses conditions pratiques, son adresse a été finalement établie : Boîte postale 155, Bruxelles 31.

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En juin 1963, l’I.S. a organisé au Danemark, sous la direction de J.V. Martin, la manifestation « Destruction de R.S.G. 6 ». À cette occasion, les situationnistes ont diffusé une réédition clandestine du tract anglais Danger! Official secret - R.S.G. 6, signé Spies for peace, qui a révélé le plan et la fonction de l’« abri gouvernemental régional n° 6 ». Un texte théorique Les situationnistes et les nouvelles formes d’action dans la politique ou l’art a été aussi publié en danois, anglais et français. La base — révoltante — du décor de cette manifestation était formée, dans une première zone, par la reconstitution d’un abri anti-atomique ; et dans une deuxième surtout par des cartographies thermonucléaires de Martin, détournement du pop-art, esquissant une représentation des différentes régions du globe pendant la troisième guerre mondiale.

« Le mouvement situationniste présente une exposition, si l’on peut dire, avec une idée. Il manifeste, à l’aide de productions chaotiques à base de plâtre, cheveux et soldats de plomb éclaboussés avec de la peinture ou des slogans, en faveur de la destruction de l’abri du gouvernement anglais R.S.G. 6, qui a été construit comme défense en cas de guerre atomique. Bien sûr, ils protestent en réalité contre la guerre elle-même et l’État totalitaire ; ils prendront probablement pour un compliment que l’on dise qu’ils ne l’ont pas fait avec des moyens artistiques. Quoi qu’il en soit, je ne pense pas que ce puisse être un compliment. » — PIERRE LÜBECKER, Politiken du 3 juillet 1963.

Un compte rendu intelligent a été fait par Else Steen Hansen, sous le titre Homo ludens, dans le numéro 5-6 de la revue suédoise Konstrevy (décembre 1963).

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Le situationniste Rudi Renson, alors qu’il se rendait à la même manifestation, a été arbitrairement refoulé à la frontière danoise. Sous l’effet du scandale évoqué pendant plusieurs jours par la presse de tout le pays, la police des frontières a successivement prétendu qu’il n’avait pas de passeport ; qu’il n’avait pas assez d’argent ; qu’il avait une sale tête. Le dernier point restant évidemment discutable, la fausseté des deux autres a été démontrée (mais la saisie des publications situationnistes continue depuis, à cette frontière). Renson prépare, actuellement, un recueil des études de l’I.S. sur L’architecture et le détournement.

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T. Kurokawa et Toru Tagaki, délégués en Europe par le mouvement japonais Zengakuren au printemps de 1963, ont apporté ici une précieuse contribution à la discussion sur le nouveau départ d’une organisation révolutionnaire. Adresse : Zenshinsha, 1-50 Ikebukurohigashi, Toshima-ku, Tokyo.

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« Au même titre que les diverses spécialisations intellectuelles, la poésie doit disparaître en tant que pratique particulière d’une caste de “techniciens” et de virtuoses littéraires pour se manifester directement dans tout acte créateur humain, — y compris l’acte d’écrire — ce que n’arrivent pas à comprendre les ramasse-miettes lettristes ou situationnistes, pour qui l’abolition pure et simple de l’écriture grammaticale ou de l’expression artistique sert de remède miracle à la crise de l’expression poétique. » — Front Noir, n° 1 (juin 1963).

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Dans le livre L’Extricable, où Raymond Borde agite, à la sauce de la plus vulgaire rigolade, quelques faits et quelques notions qui vont effectivement venir à la mode, on peut lire cet étrange aveu : « L’idée est en l’air du côté du surréalisme. Elle a été reprise par les situationnistes, mais dans un contexte aléatoire. Elle peut fournir — sait-on jamais ? — la clé d’une théorie révolutionnaire… » On sait (voir cette revue, page 19) que Raymond Borde a toujours pu placer ses exercices de style dans un contexte non-aléatoire : il n’a jamais changé que de livrée.

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Il est tout à fait abusif d’écrire, comme l’avait fait France-Observateur du 7 février 1963, que la brochure de Robert Dehoux, Teilhard est un con (même si nous approuvons absolument ce titre), révèle des “accointances avec les situationnistes”. L’autonomie de Robert Dehoux est pourtant manifeste, et encore confirmée récemment par son deuxième ouvrage, Ecce Ego. Il semble que certains critiques soient tellement habitués à voir des copistes qui affectent d’ignorer l’I.S. que lorsqu’ils rencontrent quelqu’un qui a la bonne foi de nous citer, et de donner les références situationnistes qui lui paraissent utiles pour son propos, on le ramène tout de suite à ce maudit sigle.

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Attila Kotányi a été exclu de l’I.S. le 27 octobre 1963. Il avait soumis aux situationnistes, trois semaines auparavant, un texte qui demandait une réorientation théorique fondamentale. Cette réorientation était extrêmement rétrograde, jusqu’au mysticisme inclus. Son auteur a été rejeté à l’unanimité. Seul le situationniste danois Peter Laugesen a déclaré qu’il ne voyait rien de particulièrement choquant là-dedans. Il a donc été lui-même exclu à l’instant (voir la circulaire diffusée en décembre Sur l’exclusion d’Attila Kotányi). Depuis, Laugesen se répand dans la presse scandinave sur l’inépuisable thème : « Ils sont affreux ; je sais de quoi je parle ; j’avais le malheur d’y être ». A. Kotányi a fait au moins ce pas vers le nashisme qu’il a essayé de répandre le bruit que tout ceci était un désolant malentendu, et qu’il reprendrait bientôt contact avec l’I.S. Il nous faut bien dire que non : son texte était parfaitement clair. Les nôtres aussi.

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Dans Le Mouvement du Signe, Estivals s’obstine contre toute apparence de raison à chercher à comprendre l’I.S. Entre mille autres sottises, il en a « prévu et expliqué l’éclatement inévitable ». Pour lui, ce mouvement centrifuge s’est révélé dès l’exclusion de Ralph Rumney, dans les toutes premières : avant même que nous ayons publié une ligne. C’est peut-être parce qu’il est assurément de ceux qui n’ont « même pas eu la chance de se faire exclure » (I.S. 8) qu’il se bouche les yeux sur le sens réel des exclusions. Peut-être estime-t-il que l’onde de choc de cette explosion de l’I.S. a déjà atteint les zones mentales déshéritées où il hiberne ? Toujours est-il qu’il s’est présenté dans quelques rédactions parisiennes — au moins celles des Lettres Nouvelles et de France-Observateur — en prétendant avoir quelque chose de commun avec les situationnistes. Il est évident que l’imposture ne pourra tromper que ceux qui veulent l’être : pas seulement parce que les situationnistes sont intelligents, et qu’Estivals, même comme chercheur du C.N.R.S., paraît d’une faiblesse inhabituelle ; surtout parce que les situationnistes ne pratiquent pas ce genre de démarches, on le sait bien.

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Le nashisme s’est dilué et effiloché, principalement dans deux directions : la revue hollandaise Situationist Times a tourné à la revue d’art quelque peu académique, réunissant une très riche iconographie sur des thèmes parfois très bien choisis (le labyrinthe). La petite partie laissée aux commentaires n’est malheureusement pas à la hauteur de cet effort historico-universitaire. Le Dr H.L.C. Jaffé, fameux muséographe, donnant une citation italienne des trois premiers vers de La Divine Comédie n’y accumule pas moins de six fautes (contresens ou non-sens). À ce compte, on pourrait démontrer n’importe quoi ; peut-être même que le titre inexpliqué de cette revue a eu un sens ? D’autre part, Nash et ses amis suédois font la quête sur la voie publique, en montreurs d’ours et avaleurs de flammes du pop-art saupoudré de mystique scandinave. Dans un tract récent, Nash s’est opportunément proclamé « fils de Dieu ». Tel père, tel fils.

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« Au seuil d’une époque où la science et la technique jouent un rôle parfois démentiel, il faut bien parler des jeux cybernétiques ou téléguidés, de ces activités pour adultes, plus proches du ludisme que de l’art, que le Groupe de recherches d’art visuel a introduits au Musée d’Art moderne de la ville de Paris à l’occasion de la IIIe Biennale. Il y a là des jeux dignes de quelque Luna-Park mathématique. Sous couleur de modifier le rapport œuvre-spectateur, le Groupe demande la participation de celui-ci. En lançant des balles, en manipulant des éléments divers, le visiteur crée de multiples situations… » — RABECQ-MAILLARD (Le jeu et l’actualité, n° 16-17 de La Nef, janvier 1964).

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Depuis la scission de 1963, la revue Socialisme ou Barbarie s’efforce de prendre la succession d’Arguments (cf. « Nous savons que votre abonnement à Arguments témoignait de préoccupations analogues », dans la circulaire du 20 janvier 1964 adressée par le nouveau comité de rédaction au public qu’ils veulent récupérer). Mais cela vient avec retard, et c’est nettement plus faible et insignifiant. Politiquement, c’est l’expression de la frange la plus gauchiste et la plus fantaisiste de ces managers et cadres moyens de la gauche qui veulent avoir la théorie révolutionnaire de leur carrière effective dans la société, et aussi bien la carrière sociale ouverte à une telle « théorie révolutionnaire ». Mais alors que les Mallet ou les Gorz sont des professionnels de cette activité, les gens de Socialisme ou Barbarie font visiblement amateurs : détente pour les week-ends de managers dont la vraie carrière est ailleurs. La minorité qui a rompu par fidélité au marxisme a accepté le débat sur le plus faux terrain : le « moderne » était l’apanage des cardanistes, et la « révolution », le drapeau de la minorité. Mais en fait, ni un camp ni l’autre ne représente l’une ou l’autre de ces notions, parce qu’il ne peut y avoir de révolution hors du moderne, ni de pensée moderne hors de la critique révolutionnaire à réinventer. La minorité (Pouvoir Ouvrier) est si détachée des vétilles de l’époque qu’elle n’a pas jugé utile d’exprimer le sens de la dissolution de Socialisme ou Barbarie, phénomène trop moderne à son gré, ni même d’en informer ses rares lecteurs, tous fervents, cependant, de démocratie ouvrière. Dans Socialisme ou Barbarie, il ne reste qu’assez peu de traces de l’utile travail théorique fait pendant des années sur nombre de points. Tout est noyé dans une extraordinaire atmosphère de surenchère à la démission, tout le monde se bouscule aux postes d’abandon de toute pensée critique. Dans ce naufrage, il semble que le capitalisme, seul, se défoule euphoriquement. Cardan, après quinze ans d’efforts inutiles pour que la dialectique se donne à lui, fût-ce un bref instant, décide que c’est un fruit trop vert et proclame que « nous ne pouvons pas nous donner d’emblée une dialectique quelle qu’elle soit, car une dialectique postule la rationalité du monde et de l’histoire, et cette rationalité est problème, tant théorique que pratique » (Socialisme ou Barbarie, n° 37, page 27). Dès lors, il peut afficher avec la plus grande fierté son impuissance, longtemps déguisée, à saisir le jeu des contradictions : « À la base de cette théorie (marxiste) de l’histoire, il y a une philosophie de l’histoire, profondément et contradictoirement tissée avec elle, et elle-même contradictoire, comme on le verra. » Il est sûr que, parti d’un si bon pied, on va tout voir, et même Lapassade diriger psychodramatiquement une telle avant-garde de la révolution du « questionnement ».

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L’I.S. a accepté de répondre, en décembre 1963, à l’enquête du Centre d’Art socio-expérimental, sur la relation art-société ; mais a, évidemment, refusé toute participation aux discussions ouvertes entre différents courants artistiques pour une « union des artistes ». C’est même, plus généralement, un appel à l’union de tous les honnêtes gens pour faire la chasse aux situationnistes qu’Isou a lancé, à ce moment, par une proclamation affichée dans les locaux du Centre (et reprise dans L’avant-garde lettriste et esthapeïriste) :

« Comme certains groupes réactionnaires affirment qu’il faut détruire les machines, d’autres groupes réactionnaires — comme les situationnistes, basés sur un ersatz sous-sous-sous-marxiste mal digéré — troglodyte, comme l’appelait Lénine —, affirment que l’art, en son ensemble, sera éliminé dans l’avenir proche… À une époque où, comme en Amérique et en Angleterre, des mouvements néo-nazis se reconstituent avec croix gammée et salut hitlérien, en même temps que reparaissent des groupuscules qui attaquent les recherches des formes et des matières de l’art, comme aux périodes les plus sinistres de l’anti-formalisme de Goering et de Staline, les personnes soucieuses de l’épanouissement novateur de l’homme doivent s’unir pour repousser les efforts de crétinisation ignobles des nullités obscurantistes du type troglodyte-détournant. » — (Réponse aux déchets obscurantistes « situationnistes »).

Les personnes soucieuses de ce que vous savez s’uniront bel et bien, puisqu’en mars 1964, le « Centre International de Recherches Esthétiques » de Turin, dirigé par Piero Simondo (exclu de l’I.S. presque dès l’origine, pour crypto-catholicisme), présentait l’œuvre picturale d’Isou, préfacée avec enthousiasme par le jésuite Tapié, que l’on croyait mort. Tout cela fera de beaux enfants.

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Un livre de Guy Debord a figuré sans son autorisation, et sans qu’il en soit averti d’aucune manière, à l’exposition Schrift und Bild, à Baden-Baden, puis à Amsterdam. À une première protestation adressée aux organisateurs quand cette manœuvre nous a été finalement signalée, les Allemands de Baden-Baden répondent que la responsabilité en incomberait au Hollandais Ad. Petersen, du Stedelijk Museum d’Amsterdam, tandis que ce musée affirme, en même temps, que le choix dépendait de l’Allemand Mahlow, directeur du Kunsthalle de Baden-Baden (à suivre).

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« Ce qu’il faut en société anarchiste, c’est se réveiller chaque fois dans un monde inconnu, nouveau, qui offrira d’autres possibilités qu’hier… Les situationnistes semblent avoir compris cela et proposent, par exemple, une révolution architecturale (l’aspect d’une ville pourrait changer chaque jour) qui mettrait l’homme chaque jour dans des situations nouvelles. Ce n’est qu’un aspect, mais il va dans notre sens, c’est toute la vie actuelle qu’il faut révolutionner… » — Jeunes Libertaires (mars 1964).

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Après la publication, dans la revue anglaise Tamesis (mars 1964), du texte All the king’s men (cf. I.S. 8), traduit par David Arnott, deux professeurs de l’Université de Reading l’ont commenté dans la même revue, à des niveaux d’incompréhension nettement distincts.

« Ces gens qui, dans certaines de leurs manifestations, apparaissent plutôt comme des anarchistes du XIXe siècle. Je pense qu’ils sont environ 70, répartis dans trente pays différents. Trois membres ont déjà été exclus pour des mesures déviationnistes ou autres… Et ceci, d’un certain point de vue, serait la chose la plus originale, que la révolution doive prendre place en dehors de l’autorité (non seulement en dehors de ce que les autorités linguistiques ou les experts ont établi, mais en dehors de l’autorité du gouvernement — en dehors du corps politique presque). C’est par là que l’on peut voir que ce pamphlet a été pensé d’une façon complètement anarchiste. » — PR. LUCAS.

« Mais le mot qui est permis implique qu’il y a quelqu’un qui permet, et l’auteur, manifestement, désire rejeter même ce foyer de pouvoir. Et c’est pourquoi il est anarchiste d’une façon qui n’a pas, à ma connaissance du moins, été formulée depuis longtemps… Cet homme est-il en train de télescoper la vue marxiste d’une révolution sociale, d’essayer d’introduire le prochain stade dans le présent, par un effort conscient, d’essayer de rendre utilisable la poésie moderne, par exemple, du point de vue du XXIe siècle ? Je pense que oui… C’est seulement d’une façon superficielle que l’article s’avance dans toute une série d’arguments. C’est à la fois un manifeste et un exemple de ce que le manifeste cherche à accomplir. Il doit être pris dans ses propres termes ou pas du tout. » — PR. BOLTON.

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Giuseppe Pinot-Gallizio qui avait été, à la Conférence de Cosio d’Arroscia, un des fondateurs de l’I.S., et qui en fut exclu en 1960, est mort soudainement à Alba, le 12 février 1964. Expérimentateur en tous genres, Gallizio a été un des artistes qui représentaient au mieux un point extrême atteint dans la période créative de l’art moderne. Il a été partagé entre la recherche d’un dépassement, et un certain attachement aux goûts de cette période ancienne. Certains de ces goûts, la pression surtout de son entourage, en vinrent à rendre difficile sa participation à l’I.S. ; il sut, par la suite, rester indépendant. Étant personnellement très inventif, il était aux antipodes du battage falsificateur nashiste. Les débuts du mouvement situationniste lui doivent beaucoup.

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À Copenhague, des étudiants communistes ont été exclus en mai sous l’accusation de menées pro-chinoises. On leur reprochait, en réalité, leur intérêt pour les thèses de l’I.S.

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Dans le livre du professeur Guy Atkins, Asger Jorn (éditions Methuen, Londres, 1964), on peut lire :

« Ultérieurement à Cobra, le plus important mouvement auquel Jorn prit part fut le mouvement situationniste international, qui commença en 1957. Il est intéressant de comparer ces deux mouvements si différents… Chacun a existé effectivement pendant trois ans environ. Cobra était une avalanche qui se grossit de tout jusqu’à devenir monstrueuse. L’I.S. était exactement le contraire. Elle est apparue fermée et cohérente. Elle s’est cassée en éclats de marbre. Vers le milieu de 1962, presque tout le monde avait été “exclu” par Guy Debord, bien que Jorn ait eu l’habileté de démissionner en 1961. Cobra produisit une imagerie commune. L’I.S. créa un esprit et une attitude, et mena une activité expérimentale avec de curieuses et subtiles idées. Cobra, avec ses Danois grégaires, a eu trop peu de discipline. Les situationnistes ont été faits, et puis brisés, par leur propre discipline. »

Au réalisme de cette conclusion, nos lecteurs pourront juger de la valeur qu’il convient d’attribuer aux autres termes de ce parallèle (Cobra a peint les hommes tels qu’ils sont, et l’I.S. tels qu’ils doivent être ?).

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En juillet 1964, l’I.S. a publié, en espagnol et en français, le tract España en el corazón, attirant l’attention sur une nouvelle forme de propagande actuellement expérimentée en Espagne.

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Toutes les publications de l’I.S. mentionnées ici peuvent être communiquées à toute personne qui en fera la demande motivée.

 

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Lettres de loin

 

Ivan Chtcheglov a participé aux recherches qui sont à l’origine du mouvement situationniste, et son rôle y a été irremplaçable, dans les premières esquisses théoriques comme dans la conduite pratique (les expériences de dérives). Sous le nom de Gilles Ivain, il avait rédigé dès 1953 — ayant alors dix-neuf ans — le texte intitulé Formulaire pour un urbanisme nouveau, qui a été publié, par la suite, dans le premier numéro d’Internationale Situationniste. Ayant passé les cinq dernières années dans une clinique psychiatrique, où il est encore, il n’a repris contact avec nous que bien longtemps après la formation de l’I.S. Il s’emploie actuellement à rectifier, en vue d’une réédition, son écrit de 1953 sur l’architecture et l’urbanisme. Les lettres dont les lignes qui suivent sont extraites ont été adressées, dans le courant de la dernière année, à Michèle Bernstein et Guy Debord La condition qui est actuellement faite à Ivan Chtcheglov peut être ressentie comme une des formes toujours plus différenciées que revêt, avec la modernisation de la société, ce contrôle de la vie qui a mené, en d’autres temps, à la Bastille pour athéisme, par exemple, ou à l’exil politique.

JE SUIS dans un milieu privilégié pour étudier le groupe et les fonctions des individus dans un groupe.

La dérive (au fil des actes, avec ses gestes, sa promenade, ses rencontres) était exactement à la totalité ce que la psychanalyse (la bonne) est au langage. Laissez-vous aller au fil des mots, dit l’analyste. Il écoute, jusqu’au moment où il dénonce ou modifie (on peut dire détourne) un mot, une expression ou une définition. La dérive est bien une technique, et presque une thérapeutique. Mais comme l’analyse sans rien d’autre est presque toujours contre-indiquée, de même la dérive continuelle est un danger dans la mesure où l’individu avancé trop loin (non pas sans bases, mais…) sans protections, est menacé d’éclatement, de dissolution, de dissociation, de désintégration. Et c’est la retombée dans ce que l’on nomme « la vie courante », c’est-à-dire en clair « la vie pétrifiée ». Dans cette mesure, je dénonce maintenant la propagande pour une continuelle dérive du Formulaire. Oui, continuelle, comme le jeu de poker à Las Vegas, mais continuelle pour un temps, réservée au dimanche pour les uns, à une semaine en bonne moyenne ; un mois, c’est beaucoup. Nous avons pratiqué, en 1953-1954, trois ou quatre mois ; c’est la limite extrême, le point critique. C’est miracle si nous n’en sommes pas morts. Nous possédions une mauvaise santé de fer.

Un facteur — qui ne vérifie que trop bien nos théories élémentaires — a joué énormément : pendant plusieurs années, la clinique était installée dans un château avec gargouilles, machicoulis, épaisses portes de bois clouté, planchers (et non pas mosaïques, plus hygiéniques), haute tour, mobilier partiellement ancien, cheminées armoriées, etc. Mais depuis, on a reconstruit une clinique moderne. Certes, c’est plus pratique à entretenir, mais à quel prix ! Il est pratiquement impossible de lutter contre l’architecture. On dit de plus en plus « la clinique » à la place du « château », et « malades » au lieu de « pensionnaires ». Et tout est du même goût… Les mots travaillent.

Je viens, bien à la légère, d’accepter le rôle du boucher dans L’Ampelour d’Audiberti. Petit rôle. Mais la fatigue ! Rien de plus fatigant que de monter sur scène quand on est malade.

Dans mes bons moments, lorsque je revois toute l’insuffisance de ce Formulaire, qui pourtant était parfait, je m’arrache les cheveux. Et autant pour les numéros d’I.S. On pourrait faire tellement mieux avec un peu :
De temps — de chance — de santé — d’argent — de réflexion.
(Et aussi) de bonne humeur — de cœur à l’ouvrage — d’amour — et de précaution.
Mais l’entourage ! Les courants ! Les autres ! Les bifurcations ! C’est compliqué.

Et c’est toujours la demande démente du monde : ayez du génie, oui, mais en vivant comme nous. Ils sont fous. Et ils vont encore me coller une nouvelle étiquette dans leur dossier.

Puisque nous en sommes au potlatch somptuaire, voici un titre :
Des êtres se rencontrent, de J.A. Schade, le plus grand roman du vingtième siècle, et de loin, introuvable malheureusement. Sauf, peut-être, par petite annonce. Il se termine par la petite chanson « que nous chantions quand nous étions enfants » :

Les riches, ça marche en voiture,
Les pauvres, à pied.
Nous, nous nous amusons.

C’est dur d’être dans le trou, et de connaître l’enjeu. Je suis devenu, moi aussi, un symbole, et même ici, ils l’ont compris. Passera, passera pas, reviendra à sa langue ou reperdra la mémoire ?

Mais j’ai beau faire de l’angoisse, je voudrais orienter mon texte davantage dans le sens du bonheur ; et Chirico est certes un précurseur en perspectives architecturales, mais en perspectives architecturales angoissantes. Nous trouverons d’autres choses plus gaies. Ou alors montrer et dénoncer l’angoisse chez Chirico. Mon texte n’était pas assez clair.

Il ne reste plus qu’à sortir malade, vu l’impossibilité de se soigner en clinique… On s’en doutait bien, il y a dix ans, nous n’étions vraiment pas bêtes, pas bêtes du tout. Si l’impossibilité de se soigner en clinique est une opinion indéfendable pour le patron, cependant je maintiens, absolument en accord avec K[amouh], qu’on ne peut pas se soigner ici. La maison démolirait n’importe lequel d’entre nous. Pas exprès, bien sûr. Mais quoi ?
Je fais de la propagande situationniste avec un ou deux membres du personnel. Pourquoi pas ?

Et comment sortir ? Comment se reposer assez pour sortir ? Impossible, probablement.
Sortir ! Ils me font peur ! Je phantasme à plaisir : ils trouveront un moyen de m’affoler et ils m’embarqueront. En 1959, on avait convoqué deux cars bourrés de flics (autant qu’il m’en souvienne). Enfin, 24 flics pour votre camarade… Cependant, vous me connaissez aussi lorsque je suis très mal. Il n’y a pas de quoi envoyer 24 flics. D’ailleurs, il n’y a jamais de quoi !

Que vous dire d’autre, mon cher Guy ? Je suis malade. Je suis dans les jérémiades, les 400 volontés, la haine, le délire, les imprécations, l’« amour funeste et jaloux », les menaces, les coups de l’enfance, les prophéties de malheur de L[anglais], et les « écoute ta mère » de W[olman].

Les fêtes, ici, cela vaut la peine d’être vu. Je crois que vous n’y perdriez pas votre temps. C’est moins triste que les fêtes de tout le monde. C’est ce qu’il y a de mieux ici, les fêtes.

Sur l’exclusion d’A[ttila] K[otányi], que dire d’autre ?… Ces exclusions devraient cesser. Je sais que ce n’est pas facile : il faudrait prévoir les évolutions, ne pas accepter d’avance les suspects, enfin l’idéal, quoi. Ces exclusions font partie de la mythologie situationniste.

IVAN CHTCHEGLOV

 

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Correspondance avec un cybernéticien

 

Abraham A. MOLES — à en juger sur l’en-tête de son papier : docteur ès-lettres (Phil.), docteur ès-sciences (Phys.), ingénieur, professeur assistant (Université de Strasbourg), professeur à l’E.O.S.T. — a adressé, le 16 décembre 1963, cette Lettre ouverte au Groupe Situationniste :

MONSIEUR,

J’ai appris l’existence du Groupe Situationniste par l’intermédiaire de mon ami et collègue Henri Lefebvre. La signification que j’ai attribué au terme « situationniste » vient donc, en grande partie, de ce qu’il m’en a dit et de la lecture d’un certain nombre de vos bulletins, auxquels je vous prierai de m’abonner.

L’interprétation que j’adopte du mot « situation » est ici purement personnelle et peut-être en désaccord avec la vôtre. Il me paraît que, devant le drame personnel de l’aliénation technologique que nous percevons chacun pour notre compte, devant la consommation effrénée de l’œuvre d’art qui détruit la signification même du terme, devant un certain nombre de concepts, tels que le bonheur anesthésique ou la péremption incorporée chère à Vance Packard, des individus puissent se demander où peut se situer l’originalité créatrice dans une société frigidarisée, assortie ou non d’une mystique de l’aspirateur, selon Monsieur Goldman. La liberté interstitielle se ramène peu à peu à zéro, au fur et à mesure que les cybernéticiens technocratiques — dont je fais partie — mettent progressivement en fiches les trois milliards d’insectes.

La vie quotidienne est une suite de situations ; ces situations appartiennent à un répertoire fortement limité. Peut-on étendre ce répertoire, peut-on trouver de nouvelles situations ? Il me semble que c’est ici que le mot « situationniste » prend un sens. Une situation me paraît un système de perceptions lié à un système de réaction à courte échéance. J’aimerais certes, avoir dans vos publications une étude sur ce que vous appelez « situation » : un individu qui, pour une quelconque raison, marche au plafond plutôt que par terre, est-il dans une situation nouvelle ? Un danseur de corde est-il dans une situation rare ?

Il me semble que deux caractères permettent d’apprécier ce concept. Il y a d’abord la nouveauté d’une situation donnée par rapport à l’ensemble de celles que nous connaissons. Pour un voyageur, une langue étrangère apporte un grand nombre de situations nouvelles et il y a là, visiblement, une grandeur métrique : la « quantité d’étrangeté » qu’il perçoit dans le monde extérieur. Nous vivons couramment des situations légèrement nouvelles pour lesquelles nous devons créer un comportement. Ce terme a ici un simple caractère statistique ; ce qui vaut pour X ne vaut pas pour Y, mais il peut y avoir un « situationnisme marginal » dans lequel les individus recherchent systématiquement des perceptions ou des comportements « slightly queer ».

Une source importante de situations nouvelles proviendra de l’assemblage extraordinaire d’un grand nombre de microsituations ordinaires ; c’est ce qui fait la valeur de la technique rédactionnelle de Graham Greene, assemblant, dans une séquence ramassée un grand nombre d’actes banaux qui se trouvent être extraordinaires par leur assemblage. Chacune des positions élémentaires, correctement, rationnellement ou conventionnellement liées au monde extérieur, paraîtrait parfaitement normale : des milliers de bourgeois s’y trouvent à chaque instant ; l’ensemble particulier de situations est, lui, extraordinaire car il n’est pas « coutumier » qu’elles se succèdent dans cet ordre (Ministry of Fear, Stambul Train, The third Man). Je vous signale que les théoriciens de l’Information sont capables (en pure théorie) de mesurer la quantité de nouveauté qu’apporte un tel système.

Il y a, par ailleurs, des situations intrinsèquement rares ; par exemple, l’homosexualité est statistiquement moins fréquente que la sexualité puérile et honnête ; la partie d’amour à trois partenaires l’est moins que la copulation légale. Tuer un homme — ou une femme — est une situation rare et, par là, d’autant plus intéressante : la quantité attachée à la situation, mesurée par une certaine excursion en dehors du champ de liberté sociale, est plus grande qu’une suite de petites infractions aux règlements de la circulation (voyez Dostoïevski, car je pense que la littérature policière n’apporte, dans ce domaine, qu’une statistique situationnelle (!), fictive par-dessus le marché). C’est ici que notre liberté interstitielle se réduira bientôt à zéro, à partir du moment où la technologie nous apportera le contrôle de tous par tous, la matrice des actes élémentaires et la machine à inventorier le contenu des pensées de chacun à chaque instant.

Sortir beaucoup des normes, rarement, ou en sortir très peu, très souvent. Sur ce point, nous voyons donc apparaître deux « dimensions » des situations : leur nouveauté intrinsèque ou la rareté de leur assemblage.

La société contrôle de plus en plus la première avec les armes conjuguées de la morale sociale, des fichiers et des mises en carte, des ordonnances médicales chez le pharmacien, etc. Elle contrôle encore assez mal la seconde et il me semble que l’on peut encore vivre une vie « originale » au sens situationniste, par un pattern nouveau de petites déviations banales. Les surréalistes, dans leur vie quotidienne, l’avaient déjà pressenti bien qu’ils eussent découvert que le pire ennemi du Surréalisme pouvait être la fatigue physique ou l’épuisement des réserves de courage intellectuel.

Mais il me semble, qu’à moins d’incohérence vis-à-vis de notre propre acceptation de l’automobile, du réfrigérateur et du téléphone, c’est-à-dire de la civilisation technologique où nous vivons, c’est dans l’axe de la technologie que nous devons rechercher des situations nouvelles et je me demande dans quelle mesure votre mouvement l’accepte. Il me paraît extrêmement facile de définir des situations nouvelles basées sur un changement technique, dont les conditions physiques sont déjà réalisées, ou réalisables, ou raisonnablement concevables. Par exemple, vivre sans pesanteur, habiter sous l’eau, marcher au plafond, d’une façon générale vivre dans des milieux étranges sont des situations qui nous sont fournies par la technique, au sens classique du mot.

On peut penser que la technique est loin de notre vie quotidienne. Je crois pourtant que ce serait méconnaître que le ménage possédant une cuisinière à thermostat vit une situation nouvelle. Il est évident, d’après ces exemples, que c’est le retentissement psychologique d’une situation qui fait sa valeur pour une philosophie situationniste.

Ici, une politique se dessine : demander aux sociologues où sont les ressorts sociaux du conventionalisme. Parmi les plus évidents, il y a la sexualité qui est certes susceptible d’apporter un grand nombre de situations nouvelles. La fabrication, biologiquement concevable, de femmes à deux paires de seins est, sans aucun doute, une proposition de la biologie à la tradition. L’invention, à côté des deux sexes conventionnels d’un, deux, trois, n sexes différents, propose une combinatoire sexuelle qui suit le théorème des permutations et suggère un nombre rapidement immense de situations amoureuses (factorielle n).

Une autre source de variations, donc de situations, pourrait reposer sur l’exploitation de nos sens. Les arts « olfactifs » n’ont, par exemple, été développés que dans des notations exclusivement et fortement sexualisées, et plutôt comme instrument de lutte entre les sexes, mais jamais comme un art abstrait. Dans le domaine artistique, un très grand nombre d’autres situations résulteront prochainement des capacités techniques et si les metteurs en scène américains ne savent que faire du cinérama, et à plus forte raison du Circlorama, peut-être est-il légitime d’espérer là une source d’arts nouveaux. Le rêve de l’Art Total est conditionné par la pauvreté de l’imagination artistique.

Qu’adviendrait-il d’une société comportant des couches sociales basées sur ce que Michael Young appelle la « Méritocratie » où celles-ci seraient inscrites dans les lois de l’État ? C’est certainement la fonction de la fiction sociologique que de le préfigurer. En fait, la vie quotidienne, telle que nous la connaissons, est susceptible, par des écarts qui peuvent paraître négligeables, de proposer des situations infiniment nouvelles. Je pense, par exemple, au grand clivage des hommes et des femmes basé sur une catégorisation a priori aléatoire mais définitive. Il n’est plus du tout inconcevable que les êtres changent de sexe au cours de leur vie, et les situations nouvelles, d’abord à caractère individuel, puis à caractère social, sont ici parfaitement concevables. Il me semble que ce serait l’un des rôles de l’Internationale Situationniste que de les explorer. Si l’on suppose simplement que les vecteurs d’attraction hommes pour femmes, femmes pour hommes deviennent symétriques au lieu de la dissymétrie temporelle qui est la règle statistique actuelle, on peut penser que 90 % du Théâtre, du Cinéma, de la Littérature et de l’Art figuratif doivent être remplacés.

On pourrait continuer indéfiniment cette énumération, mais il me semble, en bref, que la recherche de situations nouvelles qui me paraît, si je comprends bien, l’un des objets que pourrait se poser le Situationnisme, soit relativement facile et doive être liée, entre autres, à une étude de ce qu’apportent les techniques biologiques, que des tabous variés laissent pratiquement intactes.

En résumé :

Mon intérêt pour votre mouvement vient de l’idée de base de rechercher, dans une société contrainte au bonheur technologique, des situations nouvelles,

Il me semble que le terme de « situation » devrait être mieux défini ou redéfini dans votre perspective propre et qu’un rapport doctrinal de votre part à ce terme serait nécessaire. En particulier, la mesure de la valeur de nouveauté d’une situation me paraît un critère indispensable.

Il n’est pas difficile de trouver un grand nombre de situations nouvelles — j’en énumère ci-dessus une douzaine, — mais on peut pousser le raisonnement plus loin. Celles-ci peuvent être issues :

a) de la transgression des tabous qui, à l’intérieur du champ de liberté légale, viennent encore restreindre notre liberté pratique, en particulier dans le domaine sexuel et biologique ;

b) du « crime » au sens de la Sociologie de Durkheim ;

c) de nombreuses déviations étranges mais de faible ampleur autour de la norme ;

d) enfin, de la technologie, c’est-à-dire du pouvoir de l’homme sur les lois de la nature.

Je vous prie d’agréer, Monsieur, l’expression de mes meilleurs sentiments.

*

Réponse à Moles, le 26 décembre 1963.

PETITE TÊTE,

Il était bien inutile de nous écrire. On avait déjà constaté, comme tout le monde, que l’ambition qui t’incite à sortir de ton usage fonctionnel immédiat est toujours malheureuse, puisque la capacité de penser sur quoi que ce soit d’autre n’entre pas dans ta programmation.

À peine est-il besoin, donc, de signaler que tu n’as rien compris à tes quelques lectures situationnistes (pour lesquelles, évidemment, toutes les bases te manquaient). Tilt. Refais tes calculs, Moles, refais tes calculs : voilà une satisfaction qu’aucun résultat positif ne viendra jamais t’enlever.

Si l’on recherchait ta « lettre ouverte », pour nous égarée, mais que diverses personnes avaient lue, c’est parce que nous pensions que, venant d’un être de ton espèce et s’adressant à nous, ce ne pouvait être qu’une lettre d’injures. Même pas ! On n’a pas besoin de savoir si ta lettre reflète fidèlement le degré moyen de ta balourdise, ou si tu as visé parfois à la plaisanterie. Faux problème, puisque tout ce que tu pourras jamais faire est, à nos yeux, contenu dans cette redondante et grossière plaisanterie que constitue ton existence.

Quand on connaît l’apparence humaine dont tes programmateurs t’ont revêtu, on conçoit que tu rêves à la production de femmes à n séries de seins. On se doute que tu peux être difficilement accouplé à moins. Ton cas personnel mis à part, tes rêveries pornographiques paraissent aussi mal informées que tes prétentions philosophico-artistiques.

Il y a pourtant un point où tu as été plus manqué encore : malgré ton papier à lettres, tu es un robot bien trop rustique pour faire croire que tu peux tenir le rôle de professeur d’université. En dépit de multiples déficiences, l’université bourgeoise — antérieurement à la bureaucratisation cybernétique que tu représentes si élégamment — laisse une certaine marge d’objectivité professionnelle chez ses maîtres. Dans des cas où de brillants élèves ont une opinion opposée à leur examinateur, il arrive que la réalité de leurs études soit reconnue tout de même ; et surtout, il n’arrive pas que les griefs extra-universitaires retenus contre eux soient ingénuement proclamés à l’avance, avec les résultats qu’ils entraîneront. Mais toi, parvenu émerveillé de la poussière d’autorité qui t’échoit, tu ne peux laisser passer l’occasion d’une première revanche. C’est ainsi que misérablement (au sens « comme un lâche » et au sens « ce fut raté » ; médite sur la valeur anti-combinatoire d’un mot), en courant de toute la vitesse de tes petites jambes, tu as essayé de faire éliminer à un examen, en juin dernier, un de nos jeunes camarades dont tu enviais probablement l’intelligence et l’humanité. Pensais-tu que nous allions oublier ton comportement parce que tu as manqué ton coup ? Erreur, Moles.

Que les mécaniques de ta sorte soient enfin, par la voie officielle, supérieures à quelqu’un ; qu’elles aient un pouvoir de faire respecter leurs ineptes décisions, et les voilà qui se déchaînent au stimulus. Mais comme ce pouvoir est encore fragile, après tant d’arrivisme ! Nous rions de toi.

Crois pourtant que nous observerons tous la suite de ta carrière avec l’attention qu’elle mérite.

GUY DEBORD

 

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 ANNONCE

Aucun des situationnistes n’ayant du goût pour les jardins du Palais-Royal au point de s’y promener chaque jour entre midi et une heure, c’est en écrivant à la Boîte Postale 75-06 à Paris que peuvent nous joindre les éditeurs, mécènes, producteurs de cinéma, etc.

Que ce soit par pur désintéressement, ou dans l’attente des superprofits afférents à certains placements intelligents, nous n’y voyons pas d’obstacle. Il suffit de savoir que nous n’aurons à discuter en aucun cas du contenu — ou de la forme — de nos livres, revues, films, et ouvrages de toute nature, dont la liberté complète ne peut rendre de comptes qu’à l’I.S.

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